King, Stephen; traduit de l’américain par Jean-Daniel Brèque, annoté par Jean-Pierre Croquet
Documents
Paris : Albin Michel, 2018, 619 pages, 24 €
🙂 🙂 🙂 L’Etrange cas du Dr King
Tombé dans la marmite
Alors qu’il n’avait encore écrit que trois romans publiés (Carrie, Salem et Shining), Stephen King, à la demande de son éditeur, a entrepris la rédaction d’un ouvrage documentaire sur son thème favori : l’horreur.
On pourrait penser l’entreprise présomptueuse de la part d’un novice de la littérature mais n’oublions pas que King est avant tout un professeur de lycée, donc qu’il a étudié la littérature et qu’il a toujours eu un appétit insatiable pour la lecture, dévorant pratiquement tout ce qui lui est tombé sous les yeux.
Les fans savent aussi que son enfance, difficile et chaotique, entre désertion du père, déménagements incessants et misère ambiante, a été bercée par le cinéma et la télévision.
L’intérêt conjugué pour ces trois vecteurs l’ont facilement mis en présence du genre horrifique – sans oublier la découverte d’une vieille malle appartenant à son père et contenant des pulps bien sanguinolents.
On comprend dès lors mieux comment le jeune Stephen Edwin King s’est construit un solide bagage dans le domaine qu’il n’a, depuis lors, pas cessé d’exploiter.
La masse de l’ouvrage (six cents pages en caractères serrés) suffit à se rendre compte de l’ampleur de l’étude et du sérieux du propos.
Si on affectionne le genre horrifique, bien souvent, on passe au-dessus des considérations telles que les règles à respecter, les thèmes à traiter, les ficelles à utiliser. Non, ce qu’on recherche, c’est le frisson de la peur, le vertige de l’absolu, la noirceur des ténèbres. C’est là l’effet premier recherché par tout auteur qui se respecte. Or, à la lecture de cette anatomie de l’horreur, on prend la mesure des fondations historiques, littéraires, sociologiques et surtout psychologiques du genre.
Fondations et empire
King distingue quatre archétypes de l’horreur : le loup-garou, le vampire, le fantôme et la créature. Ce sont les tétons auxquels s’abreuvent la majorité des récits (leurs déclinaisons sont sans cesse recréées par l’imagination des faiseurs d’histoire). La monstruosité a toujours fasciné (il suffit de voir la réaction des gens devant des phénomènes de foire ou tout simplement pour les individus hors normes ou affublés de tares ou stigmates quelconques) et si une histoire se construit autour de la monstruosité, se double d’un côté sensuel et jette un œil du côté de la psychologie et de ses tortueuses applications, il y a fort à parier qu’elle fera un carton auprès des lecteurs. Nous lisons et regardons des récits d’horreur pour oublier les véritables horreurs de la vie, prétend le Maître de Bangor. Soit. Le commerce ne peut être que florissant, bien davantage encore auprès des adolescents, ces créatures en pleine transformation physique, aux prises avec l’instinct sexuel naissant et peu assurés dans un monde contraignant, normatif et terriblement angoissant.
La littérature d’horreur est subversive : elle démarre d’une situation normale, convenue, où tout est logique, raison et routinier (dimension apollinienne) puis arrive le moment de cassure qui amène le chaos et bouleverse les données (dimension dyonisiaque). A la fin du récit, l’ordre semble rétabli même si certaines choses, parfois anodines, conservent ce vernis de mystère, de félure dans le réel)
King reconnaît user d’un procédé éprouvé pour captiver ses lecteurs : il cherche à les effrayer et use pour ce faire de la terreur (on ne voit rien derrière la porte fermée), puis emprunte le sentier de l’horreur (la bête se dévoile, les repères se liquéfient) avant de finir, si besoin est, par la répulsion (du sang, des boyaux, de la rate et du cerveau!).
Même s’il affirme que « l’horreur est, indépendamment de toute définition », tout son ouvrage va s’articuler autour de l’étude du genre par le prisme du cinéma, de la télévision et de la littérature.
Une lecture entre les lignes bien peu nécessaire
Paradoxalement, et peut-être est-ce dû à sa formation, c’est le long chapitre sur les livres d’horreur qui apparaît le plus fastidieux. Car, même s’il s’en défend (« je laisse le travail de défrichage en profondeur à ces pharmaciens de la créativité qui n’ont de cesse que chaque histoire (…) ne soit déshydratée et enfermée dans un bocal »), l’auteur décape un bon nombre de romans emblématiques (L’Exorciste, Un bébé pour Rosemary, la maison d’à côté, Maison hantée, Ghost Story L’Homme qui rétrécit, L’Invasion des profanateurs de sépultures, la Foire des ténèbres) et explique à l’envi tout ce qui fait leur unicité par le passage en revue de leur inspiration, de leur construction, de leur dimension psychologique et ce, exemples tirées des œuvres à l’appui.
L’exercice revient à démonter entièrement une superbe voiture pour en analyser ses différents composants mécaniques (voire électroniques).
Mis à part ce chapitre 9, l’étude de Stephen King est un passionnant voyage truffé de références, de découvertes et de surprises, enrobé par un humour souvent noir, une langue qui oscille entre la didactique et la vulgarisation poussée à l’extrême (l’auteur ne se privant pas de d’interpeller le lecteur par-delà les pages!).
L’admiration pour les histoires de l’homme de nos nuits blanches se double d’une fascination pour l’érudition sans faille ni limite de l’auteur de « Ça ».
Une envie d’encore
On aurait aimé que King poursuive son laïus en nous entretenant sur l’évolution du thème de l’horreur au-delà des années ‘80. Car l’étude ne prend en compte que la période 1950-1980. Et ce ne sont pas les deux préfaces, ajoutées à cette nouvelle édition (une première est parue en 1995 aux Editions du Rocher) qui sont à même d’assouvir notre appétit. Depuis 1980, le genre a explosé les frontières, les thématiques et nous a offert de fabuleux cauchemars (Cronenberg, Scott, Craven, Carpenter, Cunningham, Raimi et autres Del Toro ou Burton) pour le cinéma ; Barker, Simmons, Masterton, Rice, Brussolo, Hill, Brite et jusqu’aux récents Cutter et Boone – deux pseudos diablement efficaces!- en littérature). Peut-être que King nous gratifiera de ses connaissances et avis sur la question entre deux nouveaux romans.
C’est tout le mal qu’on nous souhaite.