Ellory, R.J. ; traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau
Policier & Thriller
Paris : Sonatine, 2020, 426 pages, 22 €
🙂 🙂 Trois balles
D’origine anglaise, R.J. Ellory n’a jamais -sauf erreur de notre part- publié de roman ancré en Albion, se focalisant depuis plusieurs années sur un pays qui semble le fasciner : les États-Unis. S’il avait déjà abordé la politique américaine via ses liens avec la mafia ou le grand banditisme, le voici qui prend à bras-le-corps l’un des mythes américains les plus prégnants, celui de JFK.
Douloureux souvenirs
Pourtant, si Kennedy et sa famille sont bien présents ici -et le titre français du roman l’indique plus que le titre d’origine (« Three Bullets »), à notre sens bien plus accrocheur et représentatif de l’œuvre- ils ne servent le propos de Ellory qu’en tant qu’éléments déclencheurs de son intrigue principale. Ce fameux jour de novembre 1963, JFK a bel et bien parcouru les rues de Dallas dans sa décapotable -cauchemar sur roues pour les services secrets chargés de sa protection- mais l’affreux Lee Harvey Oswald n’était pas présent dans l’immeuble abritant la réserve de livres scolaires. Pas de fusil dépassant de la fenêtre. Pas de balle magique : JFK et son escorte n’ont rien su du drame qui avait failli se jouer. Quelques semaines plus tard, à Washington, le photographe de presse Mitch Newman apprend le suicide de son ex-fiancée, Jean Boyd, journaliste d’investigation. La nouvelle fait remonter de douloureux souvenirs chez le photographe, douloureux au point qu’il ne pourra s’empêcher de remonter aux sources de son histoire avec Jean, et surtout aux raisons qui ont mené à leur séparation.
Polar mélancolique
A force de relire leur ancienne correspondance, de rencontrer les collègues, la mère ou les connaissances de Jean, Mitch en vient à sérieusement douter de son suicide. La dernière affaire sur laquelle travaillait Jean -les soupçons de fraude ayant mené à l’élection de JFK en 1960- n’aurait-elle pas un lien avec sa mort ? Pour en avoir le cœur net, mais aussi parce que « découvrir la vérité sur son enquête expliquerait quelque chose sur elle qu’il n’avait pas encore compris », Newman décide de reprendre l’enquête laissée en plan par Jean.
Ellory reste Ellory, et aussi bien menée puisse être son intrigue et, dans ce cas-ci surtout, aussi accrocheuse soit-elle dans le portrait au vitriol du clan Kennedy et des habitudes de vie écœurantes du président, sa grande affaire reste la plongée en eaux profondes dans la psychologie de son personnage principal. En l’occurrence, et cela ne déstabilisera pas les habitués de l’auteur, ce sont les regrets et les souvenirs tourmentés de Mitch qui rendent sa prose la plus évocatrice et parfois lyrique. Mitch ne s’est jamais remis de la séparation d’avec Jean et, tout au long du roman, il se flagelle quasi d’en être responsable, faisant ainsi passer la dangerosité de l’enquête qu’il mène sur un plan secondaire : si on doit l’empêcher de trouver la vérité, qu’il doit lui aussi être arrêté de manière définitive, tant pis, au moins ces quelques jours lui auront donné la sensation de côtoyer à nouveau celle qu’il n’a jamais cessé d’aimer. Polar mélancolique et empathique, ultra-réaliste dans son portrait de l’administration Kennedy, « Le jour où Kennedy n’est pas mort »emporte dans le tourbillon des excès du pouvoir d’un côté et de l’amour idéalisé de l’autre. Du pur Ellory.