Joy, David; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau
Policier & Thriller
Paris : Sonatine, 2020; 301 pages, 21 €
🙂 🙂 Noires Appalaches
Darl Moody est un chasseur dans l’âme. Il ne pense qu’à ça. Alors quand le vieux Coon Coward part plus d’une semaine pour enterrer sa sœur, il profite de son absence pour aller braconner sur ses terres. Il veut ce cerf puissant qu’il voit passer, avec son « rocking-chair sur la tête et un cou aussi épais qu’un tronc d’arbre. »
Un soir, ce n’est pas un cerf qu’il voit, mais un sanglier qui fourrage. Il tire. Et tue Carol Brewer, alias Sissy, un homme un peu trop doux pour ces terres, qui, lui, en voulait au champ de ginseng du vieux.
Sissy a été élevé à la dure avec son frère Dwayne. Ces deux garçons ont poussé comme ils pouvaient, l’un simple d’esprit, l’autre devenu une brute sanguinaire. Darl sait pertinemment que Dwayne ne va pas se contenter de se venger sur lui. Il risque de s’en prendre à sa mère, à sa sœur, qui élève 4 enfants, et de tout détruire tout ce à quoi il tient. Ce type a le Diable au corps.
Il décide alors d’enterrer le pauvre Sissy, et fait appel à son vieil ami Calvin pour l’aider. Ces deux-là s’étaient juré d’être toujours là l’un pour l’autre.
Nature writer à découvrir au plus vite
« Cette terre leur appartenait alors comme elle leur appartenait maintenant. Ici, le sang était lié à l’endroit, de la même manière que certains noms étaient liés aux montagnes et aux rivières, aux combes et aux vallons, aux arbres et aux fleurs et à tout ce qui valait qu’on lui donne un nom. »
David Joy, 36 ans, a passé la moitié de sa vie dans le comté de Jackson, une région de moyenne montagne couverte de forêts mais pauvre en ressources. Naître dans cette partie des Appalaches, c’est souvent subir une certaine fatalité. Un métier se transmet de père en fils, sans laisser place à la créativité d’un destin personnel. Et le fils d’un homme violent devient forcément un renégat, rejeté par l’Église. Le poste de police n’est pas forcément proche, alors la justice se fait parfois de façon personnalisée. La Nature a beau vous ouvrir les bras, avec ses espaces magnifiques, vous restez emprisonné de cette existence âpre, où les chances de se voir évoluer sont rares.
Là-bas, les hommes savent ce qu’ils ont à perdre. Dwayne et Sissy, Darl et sa famille, qu’il fait vivre, Calvin et sa compagne Angie, que tout le monde encourage à épouser. Et le sentiment de cette perte aiguille leurs pas. Pas toujours dans la bonne direction. Ainsi un homme bon n’est-il pas toujours honnête, par nécessité. Et inversement.
Une des bonnes surprises de « Ce lien entre nous » réside ainsi dans le personnage de Dwayne, que l’auteur développe avec des scènes tour à tour cruelles (et avec quel brio il nous restitue cette violence !) ou tendres. Nous n’aimons pas relier d’emblée un jeune auteur à une référence, établir des comparatifs à l’emporte-pièce, mais il faut reconnaître qu’il y a du David Vann dans le roman de Joy, du Ron Rash aussi. Dans ce rapport à la Nature et ce qu’elle fait des hommes, et celui qui les lient entre eux, souvent contre leur gré.
Polar rural à l’écriture visuelle
Pour bien parler du pouvoir d’évocation de l’auteur, il faut préciser que son roman se lit quasi d’une traite, si le quotidien nous en laisse la possibilité. Un vrai page-turner, grâce à une écriture efficace, très visuelle. Les dialogues sont taillés pour le cinéma, les scènes sont hyper réalistes et l’affrontement final insoutenable, magnifique.
On oublie vite deux-trois détails narratifs qui nous chipotent un peu. Le plaisir est immense, l’aventure littéraire est belle. David Joy, par ailleurs auteur de « Là où les lumières se perdent » et de « Le poids du monde », est assurément un auteur qui compte dans le paysage littéraire américain. Et ça, les indispensables Editions Sonatine l’ont bien compris.