Mathers, Edward Powys ; traduit de l’anglais par Claire Watson ; préface de Hervé Le Tellier
Policier & Thriller
Paris : Le Livre de Poche, 2023, 224 pages, 14,90 €
🙂 Remue-méninges
Au rayon des OVNIS littéraires, « La Mâchoire de Cain » fait figure de prototype. Il ne s’agit de rien d’autre que d’un puzzle !
Ecrit en 1934 par l’auteur anglais Edward Powys Mathers, verbicruciste et virtuose des mots, ce texte propose une enquête policière dans laquelle il s’agit d’identifier six meurtriers et six victimes.
Jusque là, on peut penser qu’on réside dans l’univers d’Agatha Christie.
Mais une Christie sous amphétamines ! Car l’auteur a pris soin de mélanger les pages de son texte et de les publier dans un ordre aléatoire qui plus est, en gommant les règles de mise en pages et en minimisant les phases dialoguées.
Résultat : une centaine de pages (heureusement pas plus!) qu’il est inutile de lire à la suite les unes des autres. Le jeu est machiavélique : pour avoir une chance de pouvoir comprendre les tenants du texte, il faut se résoudre à découper les pages et à tenter, par hasard, déduction et avec une sacrée dose de patience, de découvrir le fil conducteur, la cohérence et l’intrigue policière qui s’y cache. Pour corser l’entreprise, nul pitch, synopsis ou résumé n’est offert aux enquêteurs. Nous ne disposons donc d’aucune indication quant à la teneur du récit !
L’exercice est tellement difficile que, tant lors de l’édition originale que dans celle proposée par Le Livre de poche, une récompense est promise aux lecteurs qui parviendront à son terme.
Beaucoup s’y sont essayé. Beaucoup s’y sont cassé les dents, renonçant devant la complexité, non seulement de la recomposition mais aussi – et peut-être surtout – par l’hermétisme du texte lui-même, érudit, plombé de références littéraires, historiques et truffé de parenthèses poétiques. Ces dernières constituent vraisemblablement la porte d’entrée la plus aisée pour essayer de rassembler quelques pages, même si – essence de la poésie – les entrecroisements signifiants peuvent être multiples.
J’ai tenté l’expérience…Notant les noms, les lieux, les actions, les déplacements des protagonistes mais plus j’avançais, au début convaincu de pouvoir trouver le fil qui me permettrait de dévider toute la pelote, et plus les différents éléments identifiés semblaient me filer entre les doigts, ouvrir des tas de portes différentes tandis que d’autres avancées me laissaient face à un mur ou au bord d’un abysse d’incompréhension.
J’ai tenté …mais j’ai renoncé, soupçonnant même l’escroquerie et la part d’un travail souterrain d’Hervé Le Tellier dont le nom, associé à cette publication, n’apparaissait pas évidente ou porteuse de sens.
Et pourtant, à en croire les promoteurs du livre, la solution existe. Une blogueuse l’a d’ailleurs diffusée sur la toile (introuvable cependant…) et bon nombre de groupes d’internautes s’échine ensemble à décortiquer l’écheveau. Il y a quand même 1000 euros et un an de livres à gagner pour un investissement de 14,90 € !
Coup marketing assumé, « La mâchoire de Caïn » (le titre fait référence à la première arme qui a servi à commettre un crime dans l’histoire humaine) offre à la collection « le livre de poche » un numéro qui deviendra vite collector – dans sa version non découpée s’entend – même s’il risque de provoquer la frustration, la déception et le renoncement de la part de bon nombre de ses lecteurs.
Coup de bluff ? Peut-être. Coup de fun assuré en tout cas.
CONCOURS : Encre Noire offrira au lecteur qui parviendra à résoudre l’énigme (tueurs, victimes et méthode utilisée pour identifier la suite logique des pages) trois livres policiers récents [ parce que, oui, égoïstement (1), je veux savoir ce qui se cache derrière ce jeu de masques ]. Qui relèvera le défi ?
(1) il ne sera aucunement question de diffuser cette solution, bien entendu…