À l’heure où la série « Chère petite » cartonne sur Netflix, il nous a semblé opportun de vous donner notre avis sur le livre dont la série est tirée. Publié en 2019 en Allemagne et traduit en 2021 chez Actes sud, premier roman pour son autrice, il sort à présent en collection de poche.
Des versions différentes
Après ce qui semble être un accident de voiture, une jeune femme, accompagnée de sa fille, est emmenée aux urgences de l’hôpital de Cham, une petite ville allemande, à la frontière tchèque. La jeune femme, dépourvue de pièce d’identité, dit se prénommer Lena et s’être échappée d’une cabane perdue dans la forêt et dans laquelle elle était séquestrée. Son histoire attire l’attention de la police locale qui la relie avec l’affaire Lena Beck, du nom de cette étudiante munichoise disparue 14 ans plus tôt. Chez les parents de Lena, l’espoir renaît.
Interrogées séparément, la mère et la fille livrent aux policiers des versions différentes de leur histoire. Lena dit avoir été enlevée quelques mois plus tôt par celui qui se disait son « mari », qui la brutalisait et l’obligeait à s’occuper de ses deux enfants (un petit garçon sera rapidement retrouvé par la suite) comme s’ils étaient les siens. Alors que selon la jeune fille, le père n’avait qu’un seul objectif : les protéger du mal qui régne à l’extérieur de la cabane.
Une lecture addictive
Roman noir dont la lecture devient très vite addictive tant on est tenaillé par l’envie d’en connaître le fin mot (qui est Lena, qui sont ces enfants, qui est leur ravisseur et pourquoi les séquestrait-il ?), « Chère petite » ne met paradoxalement en scène aucun personnage attachant. Lena, quasiment mutique, nous semble manquer de volonté, elle n’aide pas les enquêteurs à identifier son bourreau, attirant la méfiance sur son récit. Alors que nous l’imaginerions animée au minimum d’une basique envie de vengeance, elle se complaît dans une attitude de victime amorphe. Sa fille, hautaine et méprisante, trouve réponse à toutes les questions qu’on lui pose en répétant religieusement les consignes de son père ou en ânonnant avec assurance des définitions apprises par cœur dans le dictionnaire, le seul livre qui était disponible dans la cabane. Le père de Lena, épuisé par 14 années d’incertitude, se croit tout permis et se pense meilleur enquêteur que les policiers, alors que la mère, réservée, désapprouve trop silencieusement l’attitude arrogante et sans-gêne de son époux.
Confusion volontaire
Nullement désireuse de rendre ses personnages sympathiques, Romy Hausmann, l’autrice, a donc pris le pli de la crédibilité. Pour les victimes, le choc traumatique et le syndrome de Stockholm ; pour les parents, l’impuissance frustrante et la révolte face au manque de résultat de la police. Nous l’avons dit, la lecture devient vite addictive, et elle le reste jusqu’au bout. Le sujet, qui rappelle d’abominables faits divers assez récents (l’affaire Natascha Kampusch), y est évidemment pour beaucoup et nous permet d’échapper pour un temps aux habituels récits de tueurs en série, d’affaires de corruption ou de terrorisme. Mais l’architecture du récit et le style de l’auteur font entrer le bouquin dans la catégorie supérieure, loin devant le tout venant des polars. En donnant tour à tour la parole à des personnages différents et extrêmement partiaux et en laissant au lecteur le soin de replacer chaque chapitre dans la chronologie générale de l’histoire, l’autrice amène une confusion volontaire, faite d’apparences trompeuses et d’interprétations douteuses menant elles-mêmes de fausses pistes en lourdes déconvenues, qui dynamisent indubitablement et avantageusement son récit. Bien qu’il fasse la part belle à la psychologie plus qu’à l’action, voici donc un très bon roman noir par son sujet et un très bel exemple de page-turner dans sa forme. Vivement conseillé.