Policier & Thriller
Paris : Albin Michel, 2024, 362 pages, 19.90 €
🙂 🙂 Dans la famille Philippon, je demande…
Benoît Philippon construit mine de rien son petit bout de chemin littéraire. La preuve en est, son passage des « Arènes », éditeur extrêmement sympathique et professionnel mais encore insuffisamment renommé, à « Albin Michel », dinosaure de l’édition aux capacités de diffusion exponentielles dont le catalogue s’enorgueillit de nombreux prix littéraires, auteurs-phares et autres succès de librairies.
S’il a changé de crémerie, l’auteur-scénariste-réalisateur français né en 1976 a cependant tenu à poursuivre l’éventail détonant des membres de sa petite famille de papier. Même si les histoires n’ont absolument rien à voir entre elles, ses « Mamie Luger », « Petiote » et aujourd’hui « Papi Mariole » s’imposent comme autant de briques d’une œuvre qui gagne en visibilité, en qualité et en maîtrise.
Mariole a décidé de résider dans un Ephad. Ancien tueur à gages, il s’est mis peu à peu à sucrer les fraises, oubliant des noms pourtant familiers ou incapable de se rappeler les tâches à accomplir sans recourir à une liste écrite détaillée. Encore guilleret pour son âge vénérable, Mariole s’y est cependant rapidement embêté. Alors, il a entrepris de s’échapper en se mettant en tête de mettre un terme à une mission à laquelle il avait échoué beaucoup d’années auparavant. Pister, retrouver et zigouiller un mauvais bougre devrait donner du pep’s à sa vie un peu trop bien rangée.
Le destin va le mettre sur la voie d’une pauvre fille, Mathilde, qui, à la recherche d’un amour véritable, est tombée sur un salaud de la pire espèce. La voici maintenant star d’un vidéo porno que ses parents et amis désapprouveraient certainement, même si elle y excelle en imitation de miaulement félin.
Unissant leur désespoir, Mariole et Mathilde acceptent de faire un bout de chemin ensemble. Elle est bien décidée à retrouver son cinéaste amateur et de lui passer ses envies lubriques ; lui se rend compte qu’il ne pourra pas mener seul sa dernière croisade.
Accompagnés d’une truie apprivoisée, Mariole et Mathilde vont s’empêtrer dans les vicissitudes de la vie nocturne, monter une expédition punitive de derrière les fagots et enfin, résoudre les énigmes posés par les derniers documents en possession de Mariole, censés l’aider à débusquer ce fameux dernier « client » qu’il n’a pas su faire passer de vie à trépas…A moins qu’il ne se fourvoie totalement sur la personne à rechercher, tout sensible qu’il se découvre lorsqu’une fragrance de parfum féminin lui met la mémoire en pelote…
Philippon ne s’embarrasse que de l’essentiel. Celui qui frappe et qui claque. Il y a du Frédéric Dard dans ses situations rocambolesques, du Michel Audiard dans ses réparties, un peu de Sacha Guitry dans ses déclarations philosophiques, le tout mâtiné d’un humour du meilleur tonneau qui parvient à adoucir quelque peu la noirceur de son propos. Les phrases sont courtes, limites lacunaires mais toujours au service d’une narration qui va crescendo et qui ne laisse pas de côté une émotion sensible et poétique. Dans ce livre, la bassesse humaine cohabite avec les vertus, la violence crue bat sa coulpe face aux grands sentiments humains (empathie, l’entraide, le sacrifice et l’amour, bien sûr.)
Sans temps morts, « Papi Mariole » appartient à ces lectures de détente absolue capables de nous extraire du réel. Dans un passé récent, « Mamie Luger » avait lui aussi cet effet, signature d’une véritable marque de fabrique d’un auteur faussement détaché de ses écrits. Là où sa Mamie tenait davantage d’une Dolores Claiborne sous acide (le livre consiste en un long interrogatoire de police durant lequel une femme « à qui on ne la fait pas » de 102 ans finira par avouer de multiples meurtres (tous commis par la force des choses)), son Papi bénéficie d’un statut totalement original et singulier : celui d’un personnage indéniablement attachant et qui a le mérite de laisser une marque dans nos mémoires. Un comble de la part de quelqu’un qui la perd, peu à peu…