King, Stephen ; roman traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch
Policier & Thriller
Paris : Livre de Poche, 2024, 722 pages, 7.90€
🙂 🙂 🙂 Not a very bad guy
Noir c’est noir
Billy Summers, vétéran d’Irak (il a servi à Fallouja d’où il a hérité un sévère état traumatique) et sniper hors-pair, a troqué son uniforme militaire contre l’apparence passe-partout d’un bon citoyen lambda. Mais il est devenu un tueur à gages aguerri et régulièrement sollicité par de sombres individus à l’appartenance ou l’obédience parfois floue.
S’il ne rechigne pas à mettre ses services à la disposition de ceux qui le paient grassement pour cela, Billy tient absolument à ce que ses victimes désignées soient de véritables pourritures, des êtres abjects dont l’humanité est en droit d’en revendiquer l’extermination. Sacerdoce ou simple façon de se donner bonne conscience ?
Alors qu’il était décidé à prendre sa retraite, Billy Summers est engagé pour tuer un certain Joe Allen, en attente d’un procès d’assises où il pourrait être amené à faire des révélations très compromettantes à l’encontre d’un richissime magnat d’entreprises. La rétribution est faramineuse, de quoi mettre Billy à l’aise pour le restant de ses jours.
La préparation de l’assassinat nécessite pour Billy de se fondre parmi les résidents d’un petit village où sa bonhomie naturelle lui attire bientôt la sympathie de quelques voisins.
Prétextant être en train d’écrire un roman (top secret), Billy s’absente souvent pour gagner un bureau du centre-ville qui lui offre les commodités propices à la rédaction. C’est de la fenêtre de ce bureau qu’il commettra son crime. Mais il loue également un studio en sous-sol, en périphérie, destiné à couvrir sa disparition au cas où les soupçons de l’enquête se porteraient sur ce sympathique nouveau voisin qui partageait barbecues et parties de monopoly.
Bien que Billy s’acquitte de sa tâche de la meilleure des façons, ses employeurs se montrent réticents à lui verser ses émoluments. Pire, il semblerait que Billy soit désormais devenu une cible, lui aussi, et que son dernier contrat avait tout d’un traquenard savamment agencé.
Alors que la fuite s’avère la solution la plus instinctive, Billy vient en aide – presque malgré lui – à une toute jeune fille violentée et abandonnée depuis une camionnette juste devant son studio.
A l’instar d’un otage atteint du syndrome de Stockholm, la pauvre Alice s’attache à Billy qui, ému, bouleversé puis totalement enragé par la situation qu’elle a vécue décide de se lancer dans une expédition punitive afin de donner une bonne leçon aux trois frappes responsables de l’agression sexuelle.
Une fois ce problème résolu, Billy se met en tête de remonter la filière de son traquenard et de découvrir l’identité des personnes qui avaient d’une part tout intérêt à voir le contrat exécuter et d’autre part, à se débarrasser de lui. Ses pérégrinations dans différents États vont le mettre sur la piste d’un dangereux pédophile sans plus aucune valeur morale, sociale ou familiale.
Boule à facettes
La presse est unanime au sujet du dernier King : c’est un chef-d’oeuvre et d’autant plus remarquable qu’il s’écarte des canons kingiens traditionnels. Arrêtons ce discours académique. Cela fait des années, des décennies que King a prouvé qu’il n’était pas qu’un auteur à faire peur. Le considérer encore aujourd’hui comme un écrivain du genre fantastique est tellement réducteur que cela confine à l’insulte.
Billy Summers est un roman noir, doublé d’un suspense psychologique et d’une étude de la nature humaine. Comme l’était déjà “Mr Mercedes” et, encore avant, “Blaze” ou “Le corps” (Stand by me). Stevie est donc déjà en terrain connu et, comme tous les genres auxquels il s’est frotté, il y fait preuve des mêmes qualités de narration et de maîtrise intégrale.
King parvient même à intégrer son récit dans les limites de son multivers puisqu’il y fait de claires références à l’hôtel Overlook (à Sidewinder) et à la bourgade de Hemingford Home (déjà visitée dans “Le fléau”, “1922” et “Les Enfants du maïs”). Son héros, Billy, expérimente par ailleurs une rencontre paranormale avec une peinture représentant des animaux de buis qui semblent y évoluer au gré de leurs envies. Sans oublier que ce roman propose une nouvelle variation sur le thème de l’écriture cathartique.
Nous sommes donc loin d’un changement total de paradigme. Plutôt en présence d’un exercice parfaitement réussi qui trouve sa place, comme une pièce de puzzle aux multiples découpages, dans la sphère d’une œuvre qui n’a plus à prouver ni sa cohérence ni son apparente diversité. Les thèmes sont là, prégnants, parlant au cœur de chacun de nous et qui, tous, ramènent à un seul leitmotiv : une éblouissante étude naturaliste.