Paris : Gallimard, 2024, 341 pages, 20 € (La noire)
🙂 4X4 et gros flingues
À Saint-Piéjac, un patelin paumé de la France profonde, vit Connor Digby, auteur anglais à succès de livres pour enfants et, accessoirement, intermédiaire dans le marché de la voiture (genre vieilles américaines) d’occasion. C’est justement alors qu’il venait de réceptionner une Plymouth destinée à un de ses fortunés clients, qu’un matin Connor voit s’arrêter devant chez lui une jeune femme, prénommée Marceline, en quête d’un peu d’aide mécanique. S’il la remballe d’abord (« je ne suis pas garagiste »), Connor, dans un deuxième temps, ne va pas rester insensible aux charmes de la belle qui finit très vite par s’installer chez lui, scellant entre eux un appétit partagé pour un tout autre genre de mécanique bien huilée. Flamboyante et ne sachant pas garder sa langue en poche, Marceline va, en peu de temps, susciter l’énervement de quelques habitants du patelin, ce qui, par effet boule de neige, entraînera progressivement la montée du ressentiment déjà latent entre l’angliche, sa nouvelle conquête et le reste des locaux.
Violence, racisme et connerie
Avec ce nouveau titre, Sébastien Gendron (auteur, entre autres, de « Chez Paradis », « Fin de siècle » et « Révolution », tous trois avantageusement chroniqués ici) nous propose un portrait à l’acide d’une certaine France rurale, portrait qui, à lui seul, mérite de voir figurer ce titre dans la collection « La Noire » plutôt que dans la « Série noire » du même éditeur. Les élus du patelin, quand ils ne se révèlent pas franchement corrompus, ne semblent animés que par leur intérêt personnel et leur fatuité envers le reste de la population. Les quelques habitants pure souche croqués par l’auteur rivalisent par leur niveau de bêtise à front de taureau ; incultes, égoïstes, adeptes de la solution facile aux questions difficiles, d’une hygiène douteuse et n’attendant qu’une chose : l’ouverture de la chasse pour écraser les sous-bois de leur gros 4X4 et dégommer du chevreuil au fusil à lunette dernier cri. Ils sont bien entendus ouvertement racistes et lâches, sentiments qui, accommodés à la sauce gros flingues et véhicules hauts sur pneus ne peut mener qu’à d’immodérés et fréquents accès de violence. Mis à part Connor et Marceline, la région compte quand même une personne disposant de neurones valides en la personne du commandant de la gendarmerie locale, et on remercie l’auteur de ne pas l’avoir versé dans le sac des élus corrompus ou des effrayants habitants, ça aurait vraiment été too much. Car il faut bien le dire : si les péripéties vécues par chacun (et qui toutes finissent par toucher Connor et sa fiancée) se révèlent picaresques, on frôle parfois la surenchère : il y a beaucoup de personnages, pas mal d’intrigues diverses et entrecroisées et qui souvent illustrent finalement les mêmes travers des locaux : la violence, le racisme et la connerie. Tout cela certes sous différents angles, et avec un humour ravageur, un vocabulaire riche et imagé et une verdeur assumée dans l’évocation de la sexualité débridée du jeune couple, mais parfois l’on se sent submergé et un peu en manque de fil conducteur, comme si Gendron avait cette fois effectué un sur-plein de ces idées absurdes et drôles qui nous plaisent tant chez lui mais sans arriver à complètement les goupiller entre elles. Allez, pas grave, c’était quand même un bon moment de lecture déjantée.