Mardi, Jacques; d’après les personnages de Léo Malet
Bande dessinée
Bruxelles : Casterman, 2024, 192 pages, 25 €
🙂 🙂 🙂 Les laids labos du XXe arrondissement
Le détective privé Nestor Burma -un personnage créé en 1942 par le romancier Léo Malet et adapté en BD en 1982 par Tardi- a le nez qui coule. Nous sommes en hiver 1957 et les hommes, face à un rhume, sont déjà des mauviettes. Heureusement, une poignée de scientifiques bien intentionnés a mis au point un remède radical contre les éternuements et la morve : les laboratoires Manchol, dont le pharmacien consulté par Burma lui conseille de s’injecter la légendaire solution nasale ET d’avaler la solution buvable ET les comprimés. Rentré à son bureau, Nestor découvre qu’une dame inconnue l’attend, dame qui n’est autre que Nicole Manchol, l’épouse du propriétaire des laboratoires susnommés. Enfin, l’épouse, plutôt la veuve, puisqu’elle annonce tout de go au détective qu’elle vient de supprimer le cher homme. Cet aveu effectué, elle sort un pistolet de son sac et se suicide sous le regard ébahi de Burma. À peine remis, Burma trouve dans le sac de la toute fraîche défunte une enveloppe à lui destinée et qui le mandate d’une mission, anticipativement payée d’une liasse de jolis biffetons joints à la missive. Forgé au sens du devoir, Nestor débute son enquête dans XXe arrondissement, entre labos pharmaceutiques aux pratiques douteuses, pères Noël cinglés et clochards trop bien informés pour avoir toujours été clochards.
Tardi au scénario et au dessin
Même si son nom a toujours été crédité dans les différentes adaptations bd des enquêtes de Burma, il y a en fait 24 ans que Tardi n’en avait plus assumé le dessin. La dernière fois, c’était pour « M’as-tu vu en cadavre ? », publiée en 2000, qui était le tome 4 de la série. Après celui-ci, Tardi a confié le dessin à Emmanuel Moynot (tomes 5 à 7, puis 10 à 13, avec le concours de François Ravard pour ce dernier), et à Nicolas Baral (tomes 8, 9 et 12). On ne pouvait, à chaque nouvelle parution, que féliciter les auteurs pour la cohérence affichée dans le dessin et le scénario, malgré les différentes plumes aux commandes. Même s’il évoluait quelque peu physiquement, Burma gardait la même trogne, et ses acolytes (le commissaire Faroux, la secrétaire Hélène et le journaliste Covet) restaient présents et reconnaissables. Pour ce 14e tome, Tardi ne s’est pas basé sur un roman de la série écrite par Malet qui, mort en 1996, n’avait pas atteint son objectif : une enquête par arrondissement parisien. Tardi a donc scénarisé et dessiné « Du Rififi à Ménilmontant ! », qui se situe dans le XXe, un arrondissement que Tardi connaît bien puisqu’il y habite. Il a en plus opté pour un format plus petit que les autres volumes de la série. Moins de cases par planche, les cases sont plus grandes et le volume plus épais, l’ensemble se révèle plus qu’agréable à tenir en main, et à lire. En 192 pages, Tardi -ou plutôt Nestor ?- prend son temps, il parcourt l’arrondissement de long en large, en voiture et à pied, à la recherche de personnes à interroger ou en quête de lieux à visiter, mais la chance lui sourit rarement et, souvent, les évènements s’imposent à lui. On est un peu comme dans une visite touristique du Paris des années ’50, et Nestor donne parfois l’impression de patauger dans la semoule :« Nestor, tu tournes en rond » se dit-il à plusieurs reprises, alors qu’il repasse pour la 3ème fois dans les mêmes rues. L’embrouillamini cher à Léo Malet est ici pleinement d’actualité : on est bien dans une enquête complexe, centrée autour des méthodes cruelles de l’industrie pharmaceutique, que Tardi en profite pour dénoncer. Habitée par un grand nombre de personnages, l’histoire avance certes lentement, à coup de fausses pistes et de dialogues franchouillard, mais des heures de lectures en compagnie de Burma, dessiné par Tardi, quel bonheur !