Paris : Gallimard, 2022, 199 pages, 18 € (La Noire)
🙂 🙂 Une enquête en douces montagnes russes
Au début, il y avait la pandémie. En France, elle fût le déclencheur de mouvement sociaux divers, des manifestations pour tout et pour rien, et de la répression à mesure variable. Déliquescent, l’État tentait de sauver les meubles, mais déjà certaines zones devenaient incontrôlables ; certaines villes, quelques villages, allaient jusqu’à proclamer leur indépendance. Au milieu de ce chaos généralisé, Simone cherche son frère. Les 6 premiers mois, elle l’a attendu, elle a engagé des détectives privés, tenté de motiver les flics mais rien n’y a fait. Son frère, son très cher frère, Etienne, surnommé affectueusement (et pour le jeu de mot, vu qu’il est doté d’une sérieuse propension à ne jamais arriver à l’heure) Dogo, a disparu subitement. Sans laisser un mot, un indice, une trace quelconque. L’angoisse qui les tenaille, elle et ses parents, est indescriptible ; rester dans l’inconnu, une torture sans cesse renouvelée, est-il toujours en vie, desséché dans un fossé, a-t-il été battu à mort, pris dans une émeute ?
Pouy s’est lâché
Auteur prolifique, amateur de jeux de mots joyeusement douteux et amoureux de la langue française, Jean-Bernard Pouy fut, en 1995, un des trois fondateurs de la collection « Le Poulpe » aux éditions Baleine. Il se colla même au premier titre de la série : « La petite écuyère a cafté ». Quand on vous disait qu’il aimait les jeux de mots. Autre facette du personnage, un goût pour les contraintes littéraires, genre cadavre exquis. Avec son dernier roman, il ne l’annonce pas franchement, mais il charge le personnage de Dogo, le disparu, d’en assumer une en faisant de lui un auteur endiablé de « début de romans » dont, en fouillant ses papiers, Simone tombe sur des dizaines de versions, tous plus foutraques, déjantés et absurdes les unes que les autres, et de surcroît emplies de noms de personnages et de villes allemandes ou suédoises. Bref, Pouy s’est lâché.
Zigotos autonomistes-écolos
Hormis ce péché mignon auquel il cède sans vergogne -et dont les résultats sont à même de provoquer chez son lecteur quelques instants de franche rigolade– Pouy nous livre une histoire qui se tient et qui tient en haleine, qui puise dans l’actualité récente -la pandémie- pour en imaginer des conséquences, en mode uchronie probable. Le personnage de Simone se révèle rapidement attachant, dans le genre brut de décoffrage, on me prend comme je suis, la tristesse m’habite depuis la disparition de Dogo, me cherchez pas. Nous séduit le regard désabusé qu’elle pose sur cette époque, sur les mecs, sur ses parents, nous réjouit la fraîcheur d’esprit qu’elle arrive malgré tout à retrouver lorsqu’un autre mode de vie lui est proposé par des zigotos autonomistes-écolos pas du tout rabiques. Face à elle, quelques abrutis, peu nombreux heureusement, des adeptes de la manipulation ou des amateurs de fric, bref, pour elle, des représentants de l’ancien monde. Simone s’en prendra plein la gueule, du début à une fin que Pouy arrive à nous ménager inattendue, qui donne un récit non pas noir de noir, pas de cadavres ensanglantés à la pelle ici, mais plutôt une enquête en douces montagnes russes, teintée des petits plaisirs de la vie, la bibine, la bouffe, et dont le cœur puise en permanence dans l’amour inconsidéré de son auteur pour la chose écrite. Jean-Bernard for ever !