Chandler, Raymond ; nouvelle traduction de l’anglais (Etats-Unis) et préface inédite de Nicolas Richard
Policier & Thriller
Paris : Gallimard, 2023, 332 pages, 14 €
🙂 🙂 🙂 Ah, l’humour caustique de Marlowe !
Derace Kingsley est un homme d’affaires qui aime que les choses soient claires. Sa femme, Crystal, lui a, un mois plus tôt, envoyé un télégramme lui annonçant qu’elle mettait les voiles au Mexique avec son amant Chris Lavery. Pas surpris pour un sou, Derace a laissé couler, ne doutant pas que la nature volage de son épouse lui indique très vite le chemin du retour au domicile conjugal. Aujourd’hui, sans nouvelle de Crystal, il commence à s’inquiéter, d’autant qu’il a croisé le fameux Lavery en ville et que ce dernier a démenti tout projet de voyage au Mexique avec Crystal. Selon Lavery, la dernière fois qu’il a vu Crystal, c’était au chalet de l’homme d’affaires, sur les hauteurs boisées de Hollywood. Pour tirer la situation au clair, Derace engage Philip Marlowe, le chargeant, dans un premier temps, de vérifier si Crystal ne serait tout simplement pas au chalet. Alors qu’il effectue le tour du lac bordant la propriété avec Bill Chess, le gardien des lieux, ce dernier remarque quelque chose qui ressemble à un bras humain à demi-immergé.
Une galerie de personnages qui donne le tournis
Si Chandler avait entamé la rédaction de ce roman en 1939, dès après la publication de la première enquête de Philip Marlowe, il l’a à plusieurs reprises abandonnée, se consacrant à deux autres enquêtes du même privé (« Adieu ma jolie », publié en 1940 et « La grande fenêtre », sorti en 1942). C’est finalement l’année 1943 qui verra la sortie aux Etats-Unis de « The Lady in the lake », titre-clin d’œil à la Légende Arthurienne (« The Lady of the lake »), traduit en français et publié chez Gallimard en 1948 par « La dame du lac ». La nouvelle traduction, due à Nicolas Richard et publiée ces jours-ci en « Série noire classique » respecte cette fois le titre original : la dame est bien dedans, hélas. On y retrouve avec un plaisir non-dissimulé Philip Marlowe, le privé « hard-boiled » par excellence, qui, pour avancer dans ses recherches, use moins de ses poings ou d’une arme quelconque que d’un humour caustique ayant le don de faire sortir avec vélocité ses ennemis de leurs gonds. Comme souvent chez Chandler, l’enquête se révèle tortueuse, les personnages nombreux et il s’agit de maintenir un minimum d’attention. Le (petit) effort en vaut largement la peine : on est ici dans un polar qui sollicite son lecteur, n’ayant pas pris une ride et écrit dans une langue à faire pâlir de jalousie certains auteurs de thrillers actuels aussi vite lus qu’oubliés. Faux « whodunit » mais véritable roman noir, « La dame dans le lac » nous entraîne à la rencontre de personnages drôlement bien campés et tous plus crédibles les uns que les autres : un sheriff local beaucoup plus fin et chaleureux que son apparence ne laisse penser ; un autre, plus citadin, violent et sans doute corrompu ; un homme d’affaire moins froid et détaché que sa profession ne le présupposerait et surtout, une galerie de personnages féminins qui donne le tournis, de la femme présumée volage à la compagne cupide en passant par la secrétaire glaciale mais dissimulant un amour véritable à son boss. Au milieu, Marlowe, n’écoutant que ses neurones, n’ayant peur ni des coups (et il en ramasse un bon paquet), ni des menaces, suit son chemin en assénant quelques vérités bien senties et qui réjouissent les nôtres, de neurones. Un vrai bonheur de polar intelligent, fin et passionnant.