Nethercott, GennaRose ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Sylvie Homassel
Fantastique
Paris : Albin Michel, 2024, 522 pages, 24.90 € (Imaginaire)

🙂 🙂 🙂 🙂 Éteignez les lampions

Romancière et poétesse, artiste itinérante et folkloriste, GennaRose Nethercott manie aussi bien les ombres chinoises que la langue de Shakespeare. Son premier roman, La Maison aux pattes de poulet, rassemble d’ailleurs plusieurs de ses compétences dans une épopée captivante, où le quotidien d’une fratrie se mélange subtilement au fantastique.
Bellatine et Isaac Yaga descendent de d’artistes itinérants. Durant leur enfance, ils travaillèrent activement dans le spectacle de marionnettes de leurs parents, L’Idiot qui se noie, mais, les années s’écoulant, leurs chemins s’éloignèrent pour ne plus se recroiser. Bellatine et Isaac descendent également d’une famille juive ukrainienne. Ce passé lointain et oublié rattrape la fratrie lorsqu’un héritage leur parvient de leur arrière-arrière-grand-mère, quelques soixante années après le décès de celle-ci : une maison aux pattes de poulet. Le frère et la sœur se retrouvent après six années de silence et s’organisent pour se partager équitablement ce bien particulier. Cependant, le Vieux Continent n’envoie pas uniquement cette maison atypique. Un Russe prénommé Ombrelongue foule le sol américain dans le dessein de mettre la main sur la demeure de la famille Yaga, et de la détruire. S’en suit une folle aventure où le passé se mélange au présent, et où les protagonistes tentent de fuir désespérément une entité pleine de vice et de malice.

Que le spectre se lève

Ce roman est une merveille. Tout d’abord, grâce à cette subtile touche de folklore, qui imprègne pourtant toute l’intrigue. Les deux protagonistes découvrent le poids et l’importance de l’histoire et des souvenirs grâce au passé de cette maison atypique, qui se révèle progressivement tout au long de l’ouvrage. L’autrice puise une partie de son inspiration dans les légendes slaves, notamment dans celle de Baba Yaga. Ce rapport à l’histoire et au souvenir se révèle particulièrement important au fil des chapitres et démontre sa nécessité lors de la dernière confrontation avec Ombrelongue. Le principal rôle de cet antagoniste élégant, puissant et vicieux, est justement de détruire l’histoire, en s’attaquant aux souvenirs.
Ensuite, les personnages évoluent considérablement au fil des chapitres. Les deux frangins, que les années séparèrent totalement, se retrouvent peu à peu en traversant les épreuves. Mais, outre ces retrouvailles familiales, ils comprennent progressivement leurs propres fonctionnements, leurs passés, leurs faiblesses. Les deux protagonistes possèdent bien des failles : Bellatine détient quelque pouvoir surnaturel qu’elle juge comme abominable et tente de refouler, alors qu’Isaac fuit tout attachement et semble voir le monde avec peu de sérieux. Leurs mentalités évoluent, mais tout en conservant une dose de mystère sur leurs réels desseins, perdant le lecteur dans une foule de questionnements et de suspense. Leurs choix ne manquent pas d’étonner, mais aussi de séduire.
Enfin, l’ouvrage ne manque certainement pas de charme grâce à l’écriture de l’artiste. Certains chapitres se perdent dans le passé des protagonistes, donnant une profondeur à leurs caractères, leurs peurs et leurs questionnements. D’autres poursuivent le récit initial, faisant découvrir de nouveaux personnages secondaires et installant le suspense de cette chasse s’étalant aux Etats-Unis. Quelques-uns sont directement contés par la maison aux pattes de poulet, à la prose pratiquement espiègle, mêlant humour, mensonges, philosophies mais aussi événements tragiques. Les réponses aux nombreux questionnements des lecteurs tardent car, comme l’annonce l’ouvrage : « Une réponse c’est une crevaison sur une route de campagne. Une impasse. Dès qu’on l’obtient, il n’y a plus d’errance ».

Un roman riche en philosophie et en suspense

En résumé, cet ouvrage est une pure merveille, tant par l’intrigue que par les passages philosophiques et poétiques. Les personnages se montrent attachants malgré leurs nombreuses failles et leurs erreurs, l’antagoniste démontre une puissance incroyable et de noirs desseins, « La maison aux pattes de poulet » s’avère captivante et son histoire intrigante, et la conclusion, belle et tragique, regorge de vérité malgré la fiction du roman : « Je vous avais prévenus. L’histoire telle qu’elle est, ce n’est pas toujours l’histoire telle qu’on voudrait qu’elle soit. Mais ce n’est pas une histoire, c’est notre monde ». De nombreux chapitres offrent des visions philosophiques sur notre monde, sur l’homme et sur l’histoire, le tout teinté d’un récit riche en suspense et en rebondissements.
Florian Masut

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