1704, Venise. Ospedale della Pièta. Cette institution religieuse possède une trappe dans laquelle les mères désespérées et délaissées abandonnent leurs fillettes afin de leur offrir un meilleur avenir, plus prometteur, plus éloigné de la pauvreté et du besoin. En son sein, ces orphelines suivent notamment un enseignement musical d’une grande qualité, reconnue par les puissants de l’Occident. L’un des professeurs se nomme Antonio Vivaldi. L’une des élèves se prénomme Anna Maria della Pièta et montre un talent musical plus qu’exceptionnel. Sous la coupe du compositeur, la jeune orpheline grimpe peu à peu les échelons vers la perfection et vers ses rêves de devenir une maestra et de laisser son nom traverser les âges.
Ascension d’une âme déterminée
Harriet Constable débute sa carrière d’auteur avec un talent non négligeable, tout d’abord en nous emmenant dans un voyage passionnant dans les étroites rues de Venise, ensuite en contant les nombreuses péripéties d’Anna Maria della Piéta, une instrumentiste fabuleuse que l’histoire a légèrement délaissée. Par conséquent, cette œuvre possède un fond réel que nous retrouvons dans les paysages, les pratiques et les lieux, mais également dans les prénoms des protagonistes, dont les nombreuses orphelines citées. Nous suivons l’existence de la jeune Anna Maria depuis sa plus tendre enfance où elle découvre ce fabuleux instrument, le violon. Malgré son jeune âge, l’orpheline démontre un don pour la musique, grâce notamment à sa particularité de voir les sons en une infinité de nuances de couleurs. Les mélodies l’envahissent, la transcendent. Nous nous attachons à cet enfant et à ses désirs de grandeur, mais nous constatons que l’ambition la ronge progressivement. Au fil des années, elle n’hésite pas à sacrifier tout ce qu’elle possède dans ce dessein de reconnaissance, de perfection. Nous ne pouvons qu’admirer cette grandeur et cet acharnement professionnel, même si certains sacrifices peuvent nous choquer.
Aux côtés d’Anna Maria, le maestro Antonio Vivaldi dévoile des facettes diverses, dont certaines peu louables. Le compositeur s’attache rapidement à cette enfant aux dons incroyables, pratiquement divins, et n’hésite pas à la pousser vers la grandeur. Cependant, l’ouvrage met en avant un personnage qui n’apprécie que moyennement l’ombre que cette jeune instrumentiste projette sur lui. L’alchimie entre les deux protagonistes se voit parfois tarie par la jalousie, par la déférence, par l’envie. Le compositeur n’hésite pas à se montrer cruel envers ces jeunes orphelines, dans ce dessein de posséder uniquement l’excellence dans ses classes.
Outre toutes ces considérations de postérité, l’ouvrage tente également de donner quelques leçons sur la place de la femme dans une société très portée sur le patriarcat. Les religieuses n’apprécient pas forcément la richesse de certaines musiciennes et les écarts dans les tâches d’une institution religieuse. Certains puissants ne considèrent pas ces jeunes orphelines autant que leurs talents le mériterait. Harriet Constable termine magnifiquement les derniers paragraphes de son roman en assagissant sa protagoniste.
L’excellence de cet ouvrage s’affiche dans ses protagonistes, mais également dans l’ambiance générale de cette Venise du XVIIIe siècle. Harriet Constable y décrit avec détails les lieux, en tâchant d’enivrer les lecteurs avec les odeurs de la mer, les couleurs du carnaval ou encore les musiques de la vie quotidienne. Un premier roman réussit qui permet à une violoniste de prestige de retrouver les devants de la scène.