Burnet, Graeme Macrae ; traduit de l’anglais par Julie Sibony
Policier & Thriller
Paris : 10/18, 2020, 331 pages, 8.10 € (Domaine policier)
🙂 🙂 Intrigue chabrolienne en Alsace
Un notable de province trouve la mort dans une sortie de route sur l’A35, en rentrant vers son domicile de Saint-Louis. L’inspecteur Georges Gorski est dépêché sur les lieux pour la forme : la thèse de l’accident ne fait aucun doute. Me Barthelme laisse une veuve pulpeuse, Lucette, et un fils ombrageux, Raymond. Aucun n’est anéanti par la nouvelle. Me Barthelme était austère et peu apprécié de ses proches.
En revenant de la morgue pour l’identification, Lucette glisse à Gorski que son mari n’avait pas de raison de se trouver sur l’A35, car il dînait en ville avec des confrères comme chaque mardi. Gorski, que sa femme vient de quitter, décide d’éclaircir ce point sans conviction ni appui officiel. Il est plutôt désœuvré, et sans doute un peu attiré aussi par la veuve qui ne paraît pas farouche. Gratter la couche de bienséance de la victime se révèlera pourtant surprenant.
Polar de province très réussi
Graeme Macrae Burnet retourne à Saint-Louis pour y retrouver le restaurant La Cloche, fréquenté par son flic dépravé Georges Gorski. Il règne dans la petite ville du Haut-Rhin une certaine misère sociale, que l’auteur retranscrit admirablement : « A Saint-Louis, il est mal vu de se tenir droit ou de marcher d’un pas décidé dans la rue comme si on contrôlait son destin. (…) La réussite personnelle se doit d’être présentée comme un incroyable coup de chance, et mentionnée seulement sous la contrainte. (…) il n’avait pas envie d’être vu en présence de quelqu’un qui enfreignait si ouvertement l’idéologie locale de la médiocrité. »
Gorski est un flic désabusé, initié par le populaire et filou Ribéry, depuis longtemps décédé. Gorski se sait peu populaire au sein du commissariat, sujet aux quolibets et n’ayant aucune vie sociale. Sa femme, qui est la fille du maire, l’a bien compris car elle l’a quitté, sans qu’il sache exactement pourquoi, pour combien de temps, et que faire pour qu’elle revienne. Non pas qu’il ait des sentiments mais pour être un couple « normal », même si chez lui il n’était pas plus considéré qu’au bureau.
Mais Gorski est intelligent, malgré son penchant pour la boisson. Il est même épatant dans sa manière de résoudre un meurtre, évènement plutôt rare dans sa circonscription.
Outre son personnage récurrent, la deuxième bonne idée de Burnet est de nous faire coller aux basques de Raymond, fils de la victime. Le jeune homme, qui n’entretenait aucune relation amicale avec un père distant, décide de se rendre à une adresse griffonnée trouvée dans le tiroir du bureau du défunt. Un peu par désœuvrement, pas vraiment par intérêt. Juste parce que flirter avec Yvette, son amie d’enfance, manque un peu de relief. Et que la mort de son père lui donne un bon prétexte pour manquer les cours au lycée. Sa quête va l’entraîner dans une succession de faits qu’il finit par ne plus maîtriser. Lui qui voulait grandir voudrait au final revenir en arrière, du temps où ils s’embrassaient sans émotion avec Yvette.
Supercherie littéraire
L’histoire qui nous est contée est vraie. Enfin, en partie autobiographique. Ou pas. L’auteur sème d’emblée le doute dans la préface et avec une citation de Sartre : « Ce que je viens d’écrire est faux. Vrai. Ni vrai ni faux. ». Et réitère en postface, rendant un hommage appuyé à Claude Chabrol, qui serait fan de son œuvre et aurait adapté son second roman « La disparition d’Adèle Bedeau ». Le cinéaste aurait pu, sans doute, car l’atmosphère de « L’accident de l’A35 » fleure la province, les potins réels ou fantasmés par le coiffeur du coin. Graeme Macrae Burnet nous fait sentir le steak-frites du restaurant populaire La Cloche ou la fumée de cigarette des tapeurs de cartes.
L’Express écrit à propos de l’auteur : « Graeme Macrae Burnet braconne sur les terres de Chabrol avec le souffle oppressant d’un Simenon. » Rien à ajouter.