Piccirilli, Tom ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laurent Boscq
Policier & Thriller
Paris : Gallimard, 2019, 432 pages, 23 € (Série Noire)
🙂 🙂 🙂 Ambitieux diptyque
Ce roman fait suite aux « Derniers mots » du même auteur, publié en Série Noire en 2018 et disponible en Folio Policier depuis le début de cette année. Nous ne saurions trop vous conseiller de lire ce premier volume avant d’entamer le « Dernier murmure », tant il se révèle évident que les deux œuvres n’en constituent au final qu’une et que la lecture du second sans être passé par le premier vous privera avec certitude des clés qui donnent à l’ensemble son souffle, sa richesse et sa cohérence.
Une famille de voleurs
Or donc, nous retrouvons ici la famille Rand, voleurs professionnels de père en fils, résidant à Long Island, au cœur d’une zone où le banditisme perd petit à petit ses lettres de noblesse -pour peu qu’il en ait jamais détenu- pour verser dans une approche plus dure, plus sanglante et dénuée de toute considération pour le facteur humain : « C’est un nouveau modèle de gestion qui vise à supprimer tous ses ennemis et toutes les éventuelles complications ». Les Rand ne sont pas des tueurs (sauf l’un d’entre eux, qui se trouvait au centre du premier volume et qui hante encore ces pages) et ils sentent bien qu’ils n’ont plus leur place dans ce monde-ci.
Fils prodigue rentré chez ses parents après une longue période de séparation, Terrier « Terry » Rand a renoué avec ses racines dans le précédent volume : sa sœur, ses parents, ses oncles et son ex-petite amie, à présent mariée à Chub, le meilleur ami de Terry. C’est en voulant venir en aide à ce dernier que Terry va se heurter à une bande de braqueurs adeptes de méthodes où l’efficacité le dispute à la brutalité. Le problème, c’est que Terry n’en a pas fini avec son ex-fiancée et que, pour des motifs qu’il ose à peine s’avouer à lui-même –« le côté sombre cherchait à m’attirer vers ce bonheur lugubre »-il va tenter coûte que coûte de sortir Chub de ce mauvais pas, quitte à devoir s’avouer vaincu et à « atteindre son but le plus horrible ».
Simultanément, la famille de la mère de Terry, qui avait banni cette dernière lorsqu’elle s’était mariée à son voleur professionnel de fiancé, reprend contact avec les Rand. Terry n’a jamais rencontré ni ses grands-parents, ni son oncle et encore moins son cousin. Très actif dans le monde du cinéma, riche et autoritaire, son grand-père lui propose un cambriolage des plus surprenants et qui l’entrainera de coups tordus en embrouilles aux conséquences potentiellement irrémédiables.
Mutisme familial
Personnage central perclus de culpabilité envers sa famille, sa petite amie et son meilleur ami, Terrier Rand occupe, comme dans le premier volume de ce formidable diptyque, le rôle central, celui de l’anti-héros emblématique qui, voulant défendre tout ce petit monde, se ramasse les coups allégrement distribués par des types qui, avouons-le, le prennent souvent par surprise et en groupe. Plus égoïste et moins amoureux, Terrier aurait repris la route il y a longtemps, pour vivre sa vraie vie, celle que l’on se construit loin des siens. Mais voilà,« il y a des choses qu’aucun de nous ne veut laisser partir, même quand ça vaudrait mieux ».Alors Terry va rester, voir son grand-père paternel sombrer dans le vide d’Alzeihmer, son père montrer les premiers signes de la maladie et redouter de la contracter lui-même tôt ou tard. Taiseux, secret et incapable d’exprimer ses sentiments, il ne vaut pas mieux que les autres hommes de la famille, dont le mutisme et l’apparente froideur ne font que masquer la honte de devoir porter les inexplicables crimes de l’un d’entre eux. Quant à l’amour qui envers et contre tout les relie indéfectiblement les uns aux autres, lui non plus ne sera jamais exprimé qu’en actes.
Du noir qui fait honneur à la série
Parfait exemple de ce que le roman noir américain livre de mieux, « Le dernier murmure »confirme l’essai des « Derniers mots ». Son intrigue se révèle polardeuse en diable, son humour salvateur et ses personnages toujours crédibles. L’auteur creuse les relations intrafamiliales, élargit son propos au spectre plus global de la société américaine et finit par nous dresser des deux un portrait ni désespéré (alors qu’il aurait des raisons de l’être) ni candidement enjolivé. Les traits de caractère qu’il imprime aux Rand (absence d’auto-apitoiement, un jusqu’auboutisme revendiqué et un indéniable panache) imprègnent avec bonheur tout le récit et la mémoire du lecteur. Indéniablement une sombre et épique réussite et une très belle plume au chapeau de la Série Noire !