Un groupe de jeunes filles françaises s’offre une parenthèse dans leur jeune vie tumultueuse en passant quelques jours en Afrique du Sud, dans les environs du Cap.
Les paysages idylliques, le climat confortable, l’éloignement des parents sont les ingrédients d’un voyage prometteur auxquels viennent cependant se heurter la misère des bas quartiers, la tension politique et la violence, apparaissant comme omniprésente et souvent létale.
Après avoir rencontré un groupe de malfrats sur la route et avoir maladroitement photographié une vieille femme sur le pas de sa porte, les jeunes filles deviennent les proies de mystérieux quidams, désireux de leur faire ravaler leur outrecuidance, leur vanité d’européennes nanties et leur mépris infatué.
Manon, la fille d’un prestigieux éditeur parisien, disparaît.
Avant que son corps, atrocement mutilé, soit retrouvé.
La police suit plusieurs pistes, sur la base de divers témoignages, mais le plus probant l’oriente vers Albert, le gardien de la propriété occupée par les demoiselles. Albert, un homme à l’allure bizarre, aux appétits sexuels déviants. Le coupable idéal, en tout cas, pour le père de la disparue qui, débarqué de l’avion, entend venger la mort de sa fille en utilisant autant de cruauté et d’acharnement que ce qu’elle a subi.
La vérité est évidemment ailleurs. Bien plus commune et effrayante que ce qui est apparent aux yeux de tous.
Purgatoire
Jérémy Fel avait frappé un grand coup avec « Nous sommes les chasseurs » qui rassemblait plusieurs récits reliés entre eux par de délicats indices, alternant la chronique familiale, le fantastique, l’horreur et la passion dévorante.
Son dernier roman est sans nul doute le meilleur de sa production. Par son fond d’abord, qui nous immerge dans une Afrique du Sud sur le fil du rasoir, entre survivances de l’apartheid et précarités en tous genres qui poussent aux pires extrémités. Par ses personnages, tous ambivalents, rongés par leur côté sombre et, d’une certaine façon, dangereusement désespérés. Par les connexions entre eux, qui se révèlent peu à peu, savamment, et qui dressent un tableau bien peu positif de la nature humaine : jalousie, envie, frustration, manque d’amour et de reconnaissance, désir de vengeance, goût pour le meurtre, mais aussi aveuglement, croyances erronées, souvenirs enfouis…
Le cocktail est évidemment explosif et il est encore davantage efficace parce qu’il est soutenu par une forme particulière : les chapitres donnent à chacun des protagonistes de l’histoire une parole sincère, brute (et parfois brutale) et nous livrent leurs pensées les plus profondes, leur point de vue sur certains événements communs ainsi que leurs actes, le tout servi à la première personne (ce qui augmente le sentiment de proximité et permet de distinguer leurs failles d’interprétation ou de raisonnement). Il s’agira, cependant, de bien comprendre la démarche de l’auteur, de ne pas considérer le texte comme un compte-rendu, une narration d’après-coup ou des pages de journal intime. Non, car nous sommes à tout moment au cœur des actions, dans les pas (voir le corps) des personnages, partageant leurs émotions et leurs gestes.
Enfer et damnation
Pour l’avoir personnellement côtoyé, j’ai peine à croire que l’esprit de Jérémy Fel soit autant gorgé d’idées noires, de perversion, de goût pour la description de l’horreur. Il ne nous épargne rien, fait de nous, lecteurs innocents, des voyeurs impénitents et prend manifestement grand plaisir à nous emmener sur des pistes scabreuses.
La volonté est, ici encore, de rendre compte de l’émergence de la violence et de son expression multiforme. En plongeant son encre empoisonnée dans les secrets d’alcôve et de famille, il nous touche intimement, nous choque, nous terrifie littéralement tout en restant crédible.
Ses survivants troquent leurs beaux habits contre les oripeaux de la déchéance, de la culpabilité, de la méchanceté crasse.
Lecture parfois ardue mais néanmoins addictive, « Malgré toute ma rage » possède les atouts et les atours des meilleurs thrillers. Jérémy Fel mérite la reconnaissance de ses pairs et de ses lecteurs qui ne manqueront pas, désormais, de connaître une croissance exponentielle.