Peut-être qu’en fait Billie James, malgré tout ce qu’on lui a dit sur la mort de son père, un poète noir renommé, a toujours su que quelque chose clochait. La version officielle, celle de sa mère, de son oncle, des officiels c’était genre : « Rien de plus qu’un accident, imprévisible et tragique, ce qui peut arriver, ça arrive, c’est arrivé à Papa ».
Il s’agit peut-être simplement d’une question de bon moment. Trente ans après les faits, de retour à Greendale, la ville de sa famille paternelle, Billie sent que c’est ça, que tout se met en place. Accompagnée de son chien, elle prend possession de la maison dont elle a hérité, celle-là même où, ce fameux soir alors qu’elle n’avait que 4 ans, son père, trop alcoolisé, se tua bêtement en chutant. Pour l’aider dans sa quête de vérité, elle peut compter sur son oncle Dee, le frère de son père, et sur Melvin Hurley, un universitaire spécialiste de l’œuvre et de la vie du poète décédé.
La violence des blancs
Premier roman pour Chanelle Benz (son recueil de nouvelles « Dans la grande violence de la joie » a été publié en 2018 au Seuil), « Rien dans la nuit… » s’ancre dans le sud des États-Unis, cette partie du pays dans laquelle la vie d’un noir est constamment en danger. Alors qu’elle enquête, qu’elle fouine et remue un passé que nombre d’habitants de Greendale voudraient ne pas voir ressurgir, le prof rappelle à Billie qu’« il ne faut pas oublier qu’à l’époque, et sans doute encore aujourd’hui, la mort d’un homme noir n’était pas si importante aux yeux des autorités locales ». Ce qui ne changera rien, Billie persiste et prend des risques. Sans doute parce qu’elle n’y croit pas, ce début de 21e Siècle ne peut pas être pareil au siècle passé. Il lui faudra éprouver la violence des hommes blancs dans sa chair pour se rendre à l’évidence.
De la race en Amérique
Elliptique et mystérieux, « Rien dans la nuit… » captive si l’on prend le temps d’en lire plus qu’un chapitre à la fois, car même si l’auteure adopte quelques codes du polar, elle ne se cantonne pas dans le genre. Et son personnage de s’interroger sur d’autres sujets que la mort de son père, de s’inquiéter de son chien ou d’évoquer des souvenirs de famille avec son oncle. La tension sourde et les menaces feutrées ne se distillent en nous que progressivement, le temps que le style dépouillé et direct de Chanelle Benz installe le doute, la confusion et la crainte. En écho à ses interrogations sur la mort de son père, Billie revisite son enfance et sa jeunesse aux côtés d’une mère fantasque, historienne spécialiste du Moyen âge, décédée quelques mois plus tôt d’un cancer. Parallèlement, ses rencontres avec quelques habitants de Greendale viennent compléter le portrait incomplet de ses parents et de la famille de son père. Métayers noirs au service d’une riche famille de blancs, ils ont toujours fait profil bas, acceptant leur vie de seconde zone au prix de la sécurité relative que leurs employeurs leur offraient. La petite célébrité acquise par l’un des leurs, devenu poète, passait sans doute mal. Un roman très fin, ni revendicatif ni violement dénonciateur, écrit dans une langue qui rappelle d’autres auteurs du sud des Etats-Unis, et qui brosse à petites touches le portrait d’une Amérique dans laquelle la non-question de la race n’a toujours pas été aplanie.