Sallis, James ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Maillet, préface de Jean-Bernard Pouy
Policier & Thriller
Paris : Rivages, 2021, 206 pages, 19 €
🙂 🙂 🙂 La même histoire unique
Sarah Jane Pullman n’a pas, jusqu’à présent, vécu une existence stable. Échappée d’une vie de famille à l’ambiance mortifère, elle passe d’une carrière militaire -dont elle garde au moins un souvenir traumatisant- à divers jobs dans la restauration. Plutôt douée, parfois assumant avec bonheur le rôle de chef en cuisine, elle finit néanmoins par pousser la porte du bureau du sheriff de Farr, une petite ville comme il en existe des milliers aux États-Unis. « C’est là que l’histoire commence » nous dit-elle (le récit est écrit à la première personne), puisque Cal, le sheriff, l’engage illico comme adjointe.
Installée à Farr et dans son rôle d’adjointe, Sarah traite des premiers incidents banals. Sa relation avec Cal mue d’un respect mutuel vers une amitié solide. Jusqu’au jour où, quelques temps après que Sarah ait remarqué une présence étrange dans la ville et ait éprouvé l’impression que sa maison avait été visitée en son absence, jusqu’au jour où donc, de manière inattendue, Cal disparaisse.
Âpre, dépouillé, tendre et sarcastique
Entamer un roman de James Sallis, c’est comme se plonger dans un titre de James Lee Burke (lui aussi publié chez Rivages) : une sensation première de confort, de retrouver une plume connue, éprouvée, dont on sait qu’elle nous servira le sel du roman noir, sensation tempérée par une certitude paradoxale, celle de se voir, à un moment imprévisible de notre lecture, surpris, bousculé, désarçonné. Avec « Sarah Jane », ça n’a pas manqué.
Il y a longtemps que Sallis s’est résolu à ne pas dorloter son lecteur. Puisque d’autres histoires existent, finalement il peut bien raconter les siennes comme il le sent. En érigeant l’ellipse en valeur cardinale par exemple. En nous laissant aussi nous dépatouiller avec ce récit à la première personne où les « avant » et les « après » se révèlent les seuls points de repères chronologiques qu’il daigne nous laisser. Tant pis. Ou non, tant mieux, parce que, âpre et dépouillé, tendre et sarcastique, « Sarah Jane » se dévore sans nous perdre, et que suivre Sarah dans sa quête -retrouver Cal- c’est suivre une personne comme vous et moi, avec ses failles et ses quelques moments de grâce, ses doutes, ses regrets et ses rares certitudes. Pour Sarah, il s’agissait d’avancer, de changer de boulot et de cadre de vie. Passer de chef-coq à adjointe du sheriff, cela supposait de la part de Cal une certaine ouverture d’esprit, à tout le moins. Une attention aux qualités humaines de Sarah plus qu’à ses compétences techniques. Et c’est sans doute là que réside la force des livres de Sallis : au travers d’une intrigue passionnante, cet attachement à écrire l’humain, dans ses grandeurs et petitesses, aux prises avec tous ses impondérables. Pour peu que l’on s’y attarde et que l’on en relise certains passages, que l’on note certaines des pensées de Sarah, on se rendra compte à quel point Sallis nous nourrit, nous effraie et nous déride : « Chaque roman, chaque poème est la même histoire unique, qu’on raconte encore et encore. Comment on essaie tous de devenir véritablement humains, sans jamais y parvenir ».