Paris : Rivages, 2021, 317 pages, 20.90 € (Rivages Noir)
🙂 🙂 🙂 Missions sacrées
Le type était couché sous un banc public, dans une station de tramway encore déserte à cette heure matinale. Costaud, il mesurait deux mètres, mais n’arrivait pas à articuler deux mots de français intelligibles pour les trois flics de patrouille envoyés sur place. Son t-shirt maculé de sang avait été l’élément déterminant dans leur décision de l’embarquer au poste. C’est là qu’allait se dérouler le premier drame d’une série qui semblerait sans fin au commandant Jourdan.
Piste sanglante
Tourmenté par son métier de flic, Jourdan sent que sa vie de famille lui échappe. Plus précisément sa femme, qu’il aime profondément mais avec qui il n’arrive plus à communiquer. Peut-être sont-ce ces affaires sordides dans lesquelles il est plongé, qu’il n’arrive plus à laisser de côté une fois sa journée finie. Cette histoire de prostituées assassinées avec sauvagerie, ces corps de jeunes femmes retrouvés massacrés. Sa hiérarchie le presse de mettre un terme à la piste sanglante, comme s’il suffisait d’arrêter le premier péquenot venu, alors que Jourdan le sent, cette affaire-là est loin d’être banale : le type ne va pas se laisser coincer facilement. Et puis, il y a cette femme, Louise, aide-ménagère, qui élève seule son jeune fils. Battue par son ex-petit ami mais également torturée intérieurement par un drame plus ancien, elle obsède Jourdan depuis leur première rencontre.
Plaies ouvertes
Sombre et poisseuse, quasi dénuée d’espoir, la dernière intrigue d’Hervé Le Corre plonge au cœur des dérèglements humains et sociétaux, en cerne certaines conséquences et envoie les policiers bordelais au turbin. Comme si une poignée de flics, plus ou moins motivés, pouvait résorber un passif de plus en plus pesant. Passif d’éducation et d’enseignement négligés, passif de personnes âgées délaissées, de trafic de drogue toléré, de caïds à la petite semaine en roue libre et de négligences dans le rendu de la justice. On sent quasi à chaque page le délitement, les rouages qui grincent et les joints qui sautent. A quelques-uns revient le triste privilège de se croire investis d’une mission sacrée, sauver ce qui peut l’être, étancher. Jourdan est de ceux-là : avec son équipe, il n’aura de cesse de mettre la main sur le tueur. Louise, idem, à partir de sa modeste fonction d’aide à domicile, graisse quelques engrenages, fait du lien comme on dit. Tous deux auront leur nuit à traverser, leurs tunnels de noirceur d’abord parallèles qui finiront en un terrible carrefour. Un roman fort, qui ravive les plaies ouvertes, un style inimitable, épuré et pourtant terriblement évocateur. Du grand roman noir.