Paris : Gallimard, 2020, 240 pages, 19 € (Série noire)
🙂 🙂 Requins en Méditerranée
Histoire complètement barrée, « Fin de Siècle » part d’un postulat déjà bien cintré lui aussi : il y a quelques années, par on ne sait quel miracle, d’immenses requins comme seule la préhistoire en connut, sont réapparus par-delà toutes les mers du globe. Aucun navire n’étant assez solide pour protéger ses passagers et sa cargaison, les mégalodons -c’est leur nom- règnent en maître sur l’entièreté de la grande bleue qui, débarrassée de toute présence et activité humaine, a retrouvé sa petite santé d’avant la révolution industrielle. Sans doute vexé, l’homme du 21è Siècle a quand même réussi, au bout de quelques temps, à fermer la Méditerranée au moyen d’une colossale herse empêchant l’accès aux vilains Jaws. La vieille Mare Nostrum est donc devenue le repère de tout ce que la planète compte de propriétaires de yacht et autres ultra-riches capables de se payer une villa au bord d’une mer dans laquelle on puisse se baigner. C’est dans un de ces quartiers pour ultra-riches que débute l’affaire : une jeune femme y est sauvagement assassinée sans qu’aucun de ses voisins n’ait remarqué quoi que ce soit. Deux flics français, accompagnés d’un profileur américain spécialiste du trafic d’œuvre d’art, sont sur le coup. C’est ce dernier qui va rapidement faire le lien avec la disparition de célèbres œuvres d’art volées autour du monde. Parallèlement, et sans que la presse n’en fasse trop écho, il semble qu’une troupe de mégalodons ait franchi la fameuse barrière blindée…
Voyage en terre absurde
Pas de doute, on est bien ici dans un roman de Sébastien Gendron, l’auteur de « Révolution », chroniqué ici il y a quelques temps. On y retrouve son humour noir, l’ultra-violence de certaines de ses scènes et sa propension à pointer les absurdités de notre époque qui ne tourne que par et pour le fric. Ainsi, si les mégalodons ont réussi à franchir la grille, c’est tout simplement parce que la société chargée de son entretien n’a que trop taillé dans les dépenses de personnel et de matériel. Gendron tape là où il peut tant que ça fait sens dans son intrigue : le milieu artistique capable de dépenser des sommes folles pour des croûtes, le secteur événementiel qui ne sait plus quoi inventer pour distraire ceux qui ont trop de blé, et même les vols spatiaux à la portée de ces mêmes trop riches. Le nombre de personnages se révèle très vite important, de même que grandit tout aussi vite le nombre de petites intrigues qui nous font perdre de vue le fil principal. L’impression qu’une grande partie de ce petit monde n’a été invité dans la pièce que pour servir de pâtée aux requins se fait plus prégnante et on en prend son parti. D’intrigue « principale », Sébastien Gendron ne semble plus trop se soucier, trop occupé qu’il est à manœuvrer en terre absurde. Sur la fin, un bon coup de science-fiction absolument imprévu nous en convainc définitivement et on se contente d’apprécier ses traits d’humour ravageurs et de retrouver avec grand plaisir un goût de ce premier « Jaws » spielbergien qui nous plût tant. Barré, qu’on vous disais.