Paris : La Manufacture des Livres, 2021, 194 pages; 16,91 €
🙂 🙂 🙂 Retour à Ibiza
Matthieu, journaliste-pigiste vivant au jour le jour, vient de quitter sa copine du moment, à qui il laisse quand même un enfant. La drogue et l’alcool l’aident à tenir le coup, sans lui ôter sa lucidité : « t’as beau avoir deux diplômes Bac+5, t’es un tâcheron de l’info, de leur presse, qui enchaîne les reportages sur leurs sujets de merde ». Ce qui le brancherait, ce serait d’écrire un reportage au long cours, un texte plus dense, qui raconte une bonne histoire. Un truc en mode immersif et parfaitement subjectif, façon gonzo. Coup de bol, son pote Farid, qui vient de sortir d’un séjour prolongé en prison, lui propose un week-end « entre mecs » à Ibiza. N’ayant rien de mieux à faire, Matthieu accepte.
Un sujet d’article prometteur
S’il accepte la proposition de Farid, c’est aussi parce qu’il se rappelle que, peu de temps avant son incarcération, ce dernier lui avait touché un mot d’un de ses plus hauts « faits d’armes ». Il s’agissait de l’histoire d’une camionnette J5, chargée de came par ses soins en Algérie et qui, arrêtée et fouillée par la douane espagnole, l’avait obligé à quitter précipitamment la fête de mariage de son frère. D’autres péripéties rocambolesques s’en étaient suivies. La fameuse histoire de la fameuse camionnette J5, un potentiel et prometteur sujet d’article.
Rap et came
Arrivés à Ibiza, Matthieu n’aura de cesse d’essayer d’obtenir l’accord de Farid pour publier le récit. Mais celui-ci ne semble pas embrayer, il veut bien raconter, mais voir son nom dans un journal, ça le branche moyen. Et pour raconter, il raconte. Dans les années ’90, il a été un des premiers franco-algériens à s’établir à Ibiza, pour coordonner un trafic de came. Ce furent ses plus belles années, le fric coulait à flot, il était respecté. Entre deux joints, un rail de coke et un verre d’alcool quelconque, les deux amis vont ainsi se raconter leur jeunesse et leur vie de jeunes adultes. Un souvenir en amenant un autre, le récit se fait tentaculaire sans jamais pour autant nous perdre. Et puis, revoilà l’affaire du J5. Les souvenirs, là aussi, se mélangent et appellent des rapprochements avec des textes de rap. On s’étonne de rencontrer aussi peu de violence, de se laisser aussi facilement emporter par les réflexions de ces deux asticots, de rire à leurs blagues, de se sentir touché par leurs sentiments ou d’adhérer à leurs révoltes. La langue simple, presque parlée, et les phrases courtes, les textes du rappeur Rim’k (« le meilleur ! ») nous immergent parfaitement et avec bonheur dans leur tête, dans les différentes époques qu’ils évoquent. Et puis, le J5 quand même, quelle bonne histoire !
Un faux-polar, pas un vrai roman noir non plus, un presque road-movie. Mais un sacré bon roman, un portrait sans concession de notre époque, entre manque d’allant, résignation et débrouille d’une grande partie de ceux qui l’habitent. Un texte qui plaira aux amoureux des vrais auteurs, de ceux qui ont un fichu truc à dire, et qui l’écrivent avec inventivité, lumière intelligence et générosité. Un coup de cœur.