Lehane, Dennis ; traduit de l’américain par François Happe
Policier & Thriller
Paris : Gallmeister, 2023, 444 pages, 25,40 €

🙂 🙂 🙂 🙂 Jules n'est pas rentrée

La fille de Mary Pat, Julie -Jules pour tout le monde- n’est pas rentrée. Nous sommes en 1974, dans les Southies, un quartier à majorité blanche irlandaise de Boston et Jules, 17 ans, n’est pas rentrée. Mary Pat ne peut pas penser à autre chose : Jules n’est pas rentrée et n’a pas donné la moindre nouvelle à sa mère. Mary Pat a déjà perdu un fils, le père de ses enfants est mort et son dernier mari vient de la quitter pour une jeune et jolie « négresse ». Alors, perdre sa fille, elle ne peut pas l’envisager. Depuis toute petite, elle sait que les irlandais de son quartier sont « des gens qui se battent, qui se cassent le cul [..], qui donnent à leurs abrutis de patrons dix heures de travail par journée de huit heures. S’ils sont pauvres, ce n’est pas parce qu’ils se laissent aller. Ils sont pauvres parce que la quantité de chance qui circule en ce monde est limitée et qu’ils n’en ont pas reçu la moindre part ». Alors, comme elle ne saurait s’adresser à la police car ce serait contre toutes les règles apprises depuis l’enfance, elle fait appel à Marty Butler, le parrain local, qui sait tout sur ce qui se passe dans Southie. Rapidement, celui-ci lui fait comprendre qu’il ne peut rien pour elle et qu’elle doit cesser de remuer la merde avec toutes les questions qu’elle pose autour d’elle, parce que ça va finir par attirer l’attention des flics. Le calme, le silence, voilà ce qu’il faut pour les affaires. Mais, si dans ce foutu quartier, « tous les hommes ont le regard vide et lointain, toutes les femmes ont du caractère » et qu’en plus, « la vérité, c’est qu’elle a toujours aimé se battre », Mary Pat va sortir les griffes, les poings et les armes.

Une malédiction

Récit à la noirceur assumée, tempérée par quelques pointes d’humour et par une rencontre lumineuse entre deux personnages secondaires, « Le Silence » happe dès ses premières pages pour ne plus vous lâcher. Lehane y déploie une intrigue aux personnages à la densité et à la progression dramatique tout simplement parfaites. Pour Mary Pat, personnage qui se débat avec ses racines irlandaises racistes et violentes, il s’agira d’un chemin de croix dépourvu du moindre répit, comme une malédiction que sa lucidité extrême, sa détermination à toute épreuve et sa force physique aideront à affronter. Pour nous, pauvres lecteurs hypnotisés, il s’agira d’une succession de faux espoirs auxquels on s’attachera malgré nous et de dénouements déchirants que l’on aura bien du mal à accepter. C’est une histoire de maternité que Lehane nous raconte : il creuse au plus profond le lien mère/fille et, plus globalement, la relation parent/enfant, il nous montre comment notre mode de vie, nos valeurs, nos pensées les plus belles ou les plus moches peuventpercoler en nos enfants et les modeler pour le reste de leur vie. Ainsi du racisme, l’autre thème majeur du roman et dont Lehane illustre ici les ravages avec un brio à vous faire perdre toutes vos illusions sur l’humanité, à vous faire regretter d’en faire partie et même à vous faire adhérer à la formule d’un des personnages se demandant si « le crime le plus impardonnable commis par Dieu n’a pas été de nous créer, tout simplement ».
Nicolas Fanuel

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