Paris : Gallimard, 2019, 288 pages, 20 € (Collection Série Noire)
🙂 🙂 Dans la peau d'un autre
Comment, une fois que l’on s’est rendu coupable de la mort d’un écrivain célèbre, arriver à faire endosser cette responsabilité à quelqu’un d’autre ? Tel est le défi qu’est amenée à relever Alex, elle-même auteure à ses heures mais surtout gérante d’un gîte avec son mari, Antoine.
Charles Berrier, l’auteur en question, s’était installé quelques jours plus tôt chez eux. Généreux et bon vivant, il fut rapidement adopté par la famille d’Alex, à qui il était prêt à prodiguer ses conseils d’écrivain reconnu. Jusqu’au soir où, éméché, il s’en était pris à elle et qu’en se défendant, elle l’avait tout simplement occis. Le cadavre planqué dans le fumier, Alex, parmi les possibilités qui s’offraient à elle, opta finalement pour la recherche d’un autre coupable crédible. Endossant pour quelque temps une autre identité, elle décide de se faire une place virtuelle dans l’entourage proche de feu Charles Berrier. A cet égard, le fait que ce dernier ait habitué les siens à disparaître pour de longues périodes et à s’épancher largement sur les réseaux sociaux va grandement l’aider.
Me-too
Bien dans l’air du temps avec ses références à « Me-too »et à « balance ton porc », le dernier roman d’Elsa Marpeau trace sa route grâce au style fluide et direct de l’auteure. Elsa Marpeau y cristallise ses -très justifiées- préoccupations féministes au travers du personnage d’Alex (un prénom asexué à dessein) mais aussi d’autres femmes victimes à des degrés divers de Charles Berrier. Au fur et à mesure de l’intégration factice d’Alex dans la vie de ce dernier, Marpeau dévoile la face sombre de l’écrivain. Que ce soit avec son épouse, avec ses différentes maîtresses ou avec celles qui s’étaient refusées à lui, Berrier s’affirmait surtout par son égoïsme et par une violence qu’il n’exerçait pas que verbalement. Le contrarier équivalait à subir ses foudres vengeresses, qu’il dirigeait depuis son clavier d’ordinateur en répandant pseudo-révélations et indiscrétions bien peu élégantes sur la toile. Aussi peu recommandable soit-il, Marpeau n’assigne-t-elle pas à Berrier le rôle unilatéral de mouton noir. Alex elle-même, quittant intempestivement son mari pour poursuivre son objectif, mais sans l’informer de ses motivations, puis s’immergeant finalement presque avec plaisir dans sa nouvelle identité, n’est pas épargnée dans le portrait dressé de notre société. D’un côté les hyper-connectés, citadins et mondains superficiels et de l’autre, les ruraux, strictement ancrés dans la réalité quotidienne ? Vu la trajectoire d’Alex, il semble que Marpeau ne soit pas si catégorique et qu’elle envisage, à l’instar de son personnage principal, que la frontière entre les deux mondes puisse se franchir. A la lisière du polar et du théâtre de boulevard 2.0., « Son autre mort »multiplie ainsi les portes d’entrée et les thématiques sans en fermer aucune d’autorité. Rondement et plutôt bien mené.