Ils étaient deux petits gars, deux frères : Ciaran, le plus jeune, et Thomas, l’aîné. Le plus jeune avait avoué le meurtre, mais tous deux avaient néanmoins été condamnés à des peines de prison. Sept ans pour Ciaran et cinq pour Thomas. Lorsqu’il en sort, deux ans après son frère, Ciaran retrouve les rues de Belfast. Pour l’accueillir, hormis son grand frère, il y a Paula Cunningham, son agente de probation.
Le bon coupable ?
Au bout de quelques jours et des rares paroles qu’elle est arrivée à échanger avec lui, Paula en vient se demander si Ciaran était le bon coupable. Si c’était bien lui qui avait tué Mr Rolston, cet homme qui les avait accueillis tous les deux chez lui, à la mort de leur mère. Ciaran avait déclaré aux enquêteurs que Rolston malmenait Thomas et que c’est pour ça qu’il l’avait tué. Mais Daniel, le fils de Rolston, du même âge que Thomas, avait fermement démenti ces allégations. Tout comme la femme de Rolston, morte peu de temps après. Perturbée, Paula prend contact avec Serena Flanagan, l’inspectrice qui avait conduit les interrogatoires sept ans plus tôt.
Passion malsaine
Cunningham et Flanagan partagent la même vision du boulot : tant qu’à faire, autant bien faire. Toutes les deux en voudraient plus ; sûres d’elles, elles n’hésitent pas à piétiner certaines règles, quitte à se faire détester par leurs confrères incompétents ou sermonner par leurs supérieurs. Elles pestent souvent contre le manque de moyens et la lourdeur administrative : «…nos deux boulots ont un point commun : le fossé entre ce qu’on aimerait accomplir et ce qu’on peut faire en réalité » avoue Serena à Paula. Face à elles, une fratrie dont elles vont progressivement découvrir la dangerosité. D’apparence fragile et taiseux, Ciaran éprouve une passion malsaine pour son frère qui, de son côté, se pose en protecteur, érigeant un rempart entre eux deux et le reste du monde. Manipulateur, Thomas convainc sans difficulté Ciaran que tous les autres ne lui veulent que du mal, même ceux qui, comme Serena, lui témoignent une indubitable affection. Progressivement se dessine un lien quasi morbide entre les deux garçons, une relation de domination dans laquelle une dureté extrême côtoie une douceur parfois artificielle. Leur unique objectif ? Rester ensemble, ne plus être séparés, ne plus retourner en prison. Et pour cela, ils ne reculeront devant aucune violence.
Constat amer
Après sa série de polars autour du personnage récurrent de Jack Lennon, Stuart Neville nous revient avec un roman noir qui évoque les meilleurs textes d’un Bill James ou d’un John Harvey. Comme eux, il plonge aux plus profond dans l’exploration des passions humaines -l’amour déviant entre les deux frères, mais également la solitude d’une Paula ou les difficultés conjugales d’une Serena- tout en éclairant crûment le lent délitement du ciment social. Sans les excuser aucunement, il montre comment deux frères, perdant leurs parents, perdent aussi leurs repères moraux, et, les filets de sécurité se désagrégeant progressivement, ne bénéficient finalement que d’une part trop infime de l’assistance que leur cas particulier méritait. Qui pour se soucier de deux orphelins ? La réponse se révèle accablante : trop peu de Paula, trop peu de Serena, beaucoup trop de repli et de désinvestissement. Sous la forme d’un roman noir brillant, le constat amer de Stuart Neville frappera peut-être par sa banalité. On ne lui reprochera toutefois pas de nous l’avoir dressé, d’une prose enlevée et profonde à la fois. La crème du roman noir.