Nesbo, Jo ; traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier
Policier & Thriller
Paris : Gallimard, 2019, 608 pages, 22 €
🙂 🙂 🙂 In vino veritas
On retrouve Harry Hole poursuivi par ses démons habituels. Il a recommencé à boire vu que la femme de sa vie, Rakel, l’a mis dehors. On sait Harry passionné par son métier mais sa façon de réfléchir, de chercher des connections entre les différentes affaires qu’il a pu traiter sont un tant soit peu déroutantes. On pourrait presque penser qu’il n’appartient pas à notre monde. On se rappelle sa longue traque pour arrêter Svein Finne dit « Le fiancé ».
Lorsqu’il l’avait enfin arrêté, le soulagement de Harry avait été total. Un violeur en série était enfin sous les verrous.
Seulement voilà, Svein vient d’être relâché après une dizaine d’années d’emprisonnement. Et Harry de reprendre sa traque, outrepassant tous les ordres de sa hiérarchie. Après une soirée plus qu’arrosée, Harry se réveille les mains pleines de sang. Il a un vague souvenir d’une bagarre mais ce sang n’est pas le sien. Et puis, il y en a beaucoup trop ! Cette fois, il est touché de près, de très près ! Alors, il commence son enquête avec la rage au ventre et au cœur. Seulement, on essaye de le mettre hors course à cause de cette relation de proximité. Alors Harry se noie plus que jamais dans le Jim Beam, il veut en finir avec la vie car plus rien de l’y raccroche.
Dans un sursaut de lucidité et persuadé que c’est Svein le coupable en représailles de ce que Harry lui a fait, il veut en finir une fois pour toute avec lui. Effectivement, Harry a tué un des fils de Svein (voir opus : « La soif ») sans connaître leur lien de parenté. Tel un chien enragé, Hole poursuit son enquête ou devrais-je dire sa quête ?
Seulement voilà, tous les indices, toutes les preuves qu’il trouve le ramène à un seul et même suspect : LUI ! Tout concorde, tout s’emboîte exactement ! Trop peut-être ? Horrifié, il est à bout de course : se tuer serait si facile et alors qu’il est prêt à passer à l’acte, un morceau de musique déclenche une avalanche dans le cerveau de Harry. A cet instant sa voiture plonge dans une rivière gelée et n’est plus qu’un amas dressé sur la glace. Est-il passé à l’acte ou le destin en a-t-il décidé autrement ? A vous de voir !
L’importance du background
Avant toute chose, un petit mot concernant la Norvège, pays d’origine de Jo NESBØ. Il est classé 11ème au rang des pays les plus sûrs du monde. Même à la suite de l’effroyable tuerie d’Utoya (2011 – Anders Breivik) et d’une légère augmentation de la criminalité, les prisons sont quasi vides.
Pourquoi je vous fais cette piqûre de rappel ? Tout simplement parce que l’œuvre de Jo NESBØ cumule à elle seule plus d’assassinats ou de délits que les greffes des tribunaux. On retrouve dans ses écrits : suspens à haute tension, trahison intime, un tourbillon à donner le vertige d’émotions et intrigues si bien entremêlées de différentes affaires.
L’écriture est nerveuse mais souple, rapide mais elle a cependant évolué.
Dans cet opus, il nous fait des descriptions de la nature, des animaux qui vivent dans les bois autour d’Oslo. On a l’impression d’une plongée profonde dans un monde peu connu de la plupart et c’est un assassin qui nous y mène ! De même, lors des déplacements de Harry Hole dans la ville d’Oslo et alentours, on peut visualiser ses cheminements. Tous les personnages sont détaillés d’un point de vue psychologique profond, tous en proie à beaucoup d’interrogations aussi bien morales que métaphysiques.
Jamais Harry Hole n’avait été aussi malmené, jusqu’à le conduire aux portes de la folie. On pleure avec Harry alors qu’à l’instar de « L’enfer » de Dante, il franchit les cercles les uns après les autres et se retrouve aux portes du 9ème et dernier cercle.
Ce polar plus dense, plus humain fait une plongée en profondeur des états d’âme de Harry avec des analyses plus fouillées. Un peu comme si NESBØ avait pris plus de temps pour l’écriture, avec moins d’urgence. C’est là que réside le paradoxe de cette enquête menée à toute allure.
Au fil des pages, on découvre des comparaisons auxquelles on ne s’attend pas.
– les cris des semelles sur le sol dur…
– comme si le silence buvait les couleurs des murs et des rideaux…
Ces espèces de respirations permettent au lecteur le temps d’assimiler tous les éléments car l’auteur nous emmène sur de fausses pistes avant le rebondissement qui nous envoie ailleurs. Le personnage qu’on suspectait n’est pas le bon et le récit redémarre à toute vitesse. On vit, on souffre avec Harry tout en ayant envie de le secouer alors qu’il replonge dans l’alcool destructeur !
Le coeur de cible
Autre point qui va sûrement vous surprendre, j’ai aimé la façon dont il examine certaines choses, ici les « couteaux », comme s’il les passait au microscope, les étudiant sous toutes ses faces (forme, longueur, largeur, épaisseur, couleur…).
Voilà pour le côté matériel. Mais il passe ensuite au ressenti, les sensations qu’il semble éprouver au toucher (chaud, froid, vivant… ressemblant à un serpent ou à une femme ondulant (comme le Kriss javanais)). Il imagine aussi la manière dont cette arme va attaquer la chair, c’est pourquoi il doit absolument être adapté à l’œuvre qu’on lui assigne. Presque comme le peintre choisit les pinceaux nécessaires à la réalisation de sa création. C’est à mon avis, un des polars les plus aboutis de Jo NESBØ. On n’en sort pas indemne à frayer avec tous les personnages obsédants voire obsédés.
Si vous devez conseiller un polar ayant Harry Hole comme personnage, évitez de les faire commencer par celui-ci car pour suivre son évolution, il faut déjà en avoir eu quelques aperçus.