Grant, Jules; traduit de l’anglais par Maxime Berrée
Policier & Thriller
Paris : Inculte, 2020, 347 pages, 19 € (Noir)
🙂 🙂 🙂 Nouvelle came
Premier roman pour Jules Grant -qui malgré ce prénom plutôt typé testostérone pour nous continentaux, se révèle être une femme- « Nous errons dans la nuit… » est également un des deux premiers titres de la nouvelle collection « Noir » des éditions Inculte. Un joli coup, tant pour l’auteure que pour son éditeur français.
Des femmes avec des femmes
Loin de nous l’envie de tomber dans le cliché sexiste. Allons-y donc franchement avec une question qui nous a habité tout au long de cette lecture emballante : est-ce qu’un roman mettant en scène des femmes revendiquant haut et fort leur homosexualité, parce qu’il est écrit par une femme, sonne sensiblement plus vrai que si c’était un mec qui s’y était collé ? La question reste ouverte, mais voici de quoi alimenter la réflexion. Le mix de dureté -parfois de cruauté- et de tendresse, mis en scène à coup de dialogues tirés de la rue, insuffle en tous cas au texte une crédibilité au carré parfaitement scotchante. Eh oui les gars, une femme qui aime une femme, ça peut tourner à l’histoire vache et oui, aussi, les femmes entre elles, c’est comme les mecs entre eux. Il y a des moments de fraternité pure où l’on pense aux « Copains d’abord » de Brassens et puis d’autres, égoïstes et sans pitié, où c’est plutôt l’image d’une bagarre dans un quartier de haute sécurité qui s’impose à nous.
Trafic de drogue
Plantée dans les quartiers les plus ravagés de Manchester au début des années 2000, l’histoire met en scène une bande de filles menées par Donna et Carla, la trentaine, amies d’enfance et ayant toujours réussi à maintenir un territoire d’influence pour mener leur petit trafic de drogue à l’abri des autres gangs masculins de la ville. Protégées quand même par un « parrain » qui les tolère, elles sentent le terrain se fragiliser lorsque ce dernier se fait serrer par les flics. Son remplaçant sera semble-t-il nettement moins tolérant. Surtout si Carla ne peut se retenir de piquer la femme d’un de ses lieutenants. Tellement connement machos ces mecs : ils ne savent se défendre qu’avec violence. Mais à cette violence brutale et masculine jusqu’à la caricature, va répondre une autre, plus réfléchie et tout aussi destructrice.
Alcool, drogue et sexe
Les deux personnages principaux, Carla et Donna, se révèlent rapidement attachants dans leur flamboyance et leur radicalité. Leur langage -fleuri, direct et imagé- et leurs actions -brutes de décoffrage- semblent avoir été construits en réaction permanente à la domination masculine et au délabrement des conditions sociales vécues depuis l’ère Thatcher. Elles et leur bande pourraient facilement être confondues avec une colonne de bonbonnes de gaz alignées près d’un feu ouvert, qui aimeraient quand même prendre leur dose de bon temps avant de faire des dégâts. Alcool, drogue et sexe à gogo, et tête froide quand il s’agit des affaires ou de la famille. A ce sujet d’ailleurs, Aurora, la fille de Carla, au lieu de s’imposer comme un reflet en continuité de sa mère, se révèle le troisième personnage le plus réussi et le plus marquant de l’affaire. Attachée à sa grand-mère alcoolo, critique vis-à-vis de sa mère, et clairvoyante face au monde de merde qui l’entoure, Aurora séduit et on en vient très vite à espérer que plus de chapitres lui soient consacrés.
Deux femmes, une gamine, des motos rutilantes et de la came : non, ce n’est pas du roman noir féministe, c’est du pur roman noir du XXIè siècle, tendance hard-boiled, d’une auteure qui a peut-être été biberonnée alternativement par Donald Westlake, Bill James et Tom Sharpe. On ne s’ennuie pas une seconde : accros aux scènes d’action, aux personnages réalistes, au style taillé à l’os, à la poésie rude et à la beauté sans fard, voici votre nouvelle came.