Bernhard Gunther obtient une belle promotion, dans un contexte particulier. Des Mœurs, il entre à la Kriminalpolizei, la Kripo, alors que plusieurs cadavres de prostituées sont retrouvés scalpés. Nous sommes en 1928 et de nombreuses femmes se prostituent pour joindre les deux bouts. Qui peut s’émouvoir de leur disparition ? Le père de l’une des victimes, un chef de la pègre influent, veut quant à lui se venger de l’assassin.
Mais une seconde série de meurtres secoue l’été berlinois : des invalides de guerre sont exécutés. Les nazis, dont la montée se fait de moins en moins discrète, y seraient-ils pour quelque chose ? Comment bâtir un empire sur base d’une population comptant des hommes grièvement estropiés ? Cette enquête réveille les souvenirs d’une guerre qui ont laissé des traces chez Bernie Gunther. Quatre ans dans les tranchées, cela laisse pas mal de films muets à se repasser dans le noir de sa chambre.
Policier historique posthume
Pour le 14ème et dernier tome – l’auteur étant décédé en 2018 – de la série Bernie Gunther, Philip Kerr revient sur les premiers pas de son enquêteur fétiche. Lui qui l’a accompagné jusqu’après le IIIe Reich a situé son intrigue dans un contexte historique encore une fois intéressant.
Après l’inflation de 1923, les Berlinois doivent souvent boucler leurs fins de mois à l’aide de petits boulots en noir, policiers y compris. La logeuse se fait volontiers maquerelle, la prostituée vend de la cocaïne, de l’alcool de contrebande, des devises étrangères ou du saucisson. Tous sont susceptibles de franchir la frontière de la légalitépour compléter leurs revenus. Dès lors qui est qui ? Qui fait quoi ? Qui fréquente qui une fois la nuit tombée ? Cela donne aux personnages une belle complexité dans une société chaotique, pour laquelle ni Philip Kerr ni son personnage ne se préoccupent de la moralité qu’afficherait un pape. Chacun ne fait-il pas de son mieux ?
Bernie Gunther est un personnage intéressant, pas tout à fait vierge malgré une carrière émergente, mais droit, intelligent avec un caractère déjà bien trempé. La scène d’ouverture de « Metropolis », sans être spectaculaire, réussit à nous présenter Gunther en quelques mots. Qui est-il, où vit-il, quelles sont ses accointances politiques, point de vue sur les Juifs compris. Tout est mis en place dès les premières pages. L’enquête peut démarrer.
Une autre mise en scène brillante est ce dialogue particulier qu’instaure Bernie. Il interroge la première des victimes, une prostituée, sur ses dernières heures en vie. Faire parler un cadavre est bien plus stimulant pour le lecteur que la lecture d’un rapport de police. La victime n’est plus un corps qui se définit par des données chiffrées et des constats de légiste, mais prend du relief. Prend vie.
Berlin dans l’Entre-deux-guerres
Les références et faits réels sont nombreux, plaçant le roman dans l’Histoire. A côté de la réalité socio-économique des Berlinois, et des différents courants politiques à la manœuvre, l’expressionnisme allemand et la littérature sont plus qu’évoqués. Philip Kerr s’est admirablement bien documenté pour poursuivre son œuvre littéraire. On comprend qu’il ait été lauréat de l’Ellis Peters Historical Dagger de la Crime Writers’Association en 2009. Il a également reçu le Prix Shamus, qui récompense les fictions mettant en œuvre un détective privé. Ce qui constitue peut-être moins une référence, Harlan Coben l’ayant reçu également.
La série Bernie Gunther couvre au final la période de 1928 à 1957, soit de ses premiers pas dans la police criminelle berlinoise jusqu’à la réhabilitation d’anciens officiers nazis par la République fédérale. Pour suivre l’ordre chronologique des enquêtes de Bernie Gunther, il vous faudra lire les tomes 14, 1,2,12,8,9,10,3,4,5,6,7,11,13.