Derrien, Jean-Christophe (scénario) ; Torregrossa, Rémi (dessin et couleurs); d’après George Orwell
Bande dessinée
Toulon : Soleil, 2020, 128 pages, 17.95 €
🙂 🙂 🙂 Fake news world
Le Roi George
George Orwell a toujours eu le vent poupe ! Lu régulièrement dans les écoles (« La ferme des animaux »), reconnu comme un auteur majeur dans le monde entier, retraduit et analysé à l’envi, l’auteur n’a jamais vraiment quitté les listes des ventes de livres depuis son décès, en…1950.
Le hasard des publications actuelles offre une triple actualité BD à ce roman (malheureusement) visionnaire qu’est « 1984 ». La présente version se situe entre celle orchestrée par Fido Nesti et Josée Kamoun, aux éditions Grasset et celle que les éditions du Rocher sortiront début 2021, grâce aux talents conjugués de Sybille Titeux de La Croix et d’Amazing Améziane. Preuve évidente de la brûlante actualité que le thème de ce classique de la SF recèle, à une époque troublée où les libertés individuelles sont grignotées (certes par nécessité) et où la confiance en une élite politique s’étiole, laissant émerger des tendances extrémistes affirmées.
Société miroir
Rappelons que cette dystopie parue en 1948 évoque une société totalitaire et militaire qui a proscrit l’expression des sentiments et soumet ses citoyens à une surveillance de chaque instant, sous l’œil vindicatif de « Big Brother », figure de leader emblématique et tout-puissant. Afin de garantir la pensée unique et la main-mise sur ses sujets, Big Brother dispose d’une armada de ré-écrivains de l’Histoire. Tous les faits du passé officiel susceptibles de gêner les desseins de ce nouveau « Caudillo 2.0 » sont effacés, transformés, travestis. Dans ce monde suffocant, où chacun vit, au bout du compte, enfermé dans les carcans sociétaux, même l’amour et la procréation non-dirigée sont délictueux. Mais l’Homme reste un être de contacts et de tentations à assouvir. Et ce n’est pas à Winston Smith qu’il faut jeter la première pierre. Tourmenté par la raison et par la lucidité quant à l’anormalité ambiante, Smith trouve en la personne de Julia une âme sœur, qui partage cette même envie de se dresser contre l’autorité déviante, cette paranoïa alimentée par les guerres incessantes. La douceur de sa peau achève de le faire passer du côté obscur et d’imprimer en lui une force de résistance. Quitte à s’aveugler, à se prêter à des tortures et des manipulations psychologiques perverses et à faire confiance aux faux-semblants.
Regarde Big Brother
Pour toute BD, l’étape de l’adhésion pour le travail graphique est primordiale. L’attrait pour le découpage des planches, qui précède la perception de la tension induite par la construction du récit, sont également des valeurs qui définissent la réussite du produit fini. Dans le cas de cette adaptation, ma foi très fidèle, toutes les caractéristiques nécessaires se trouvent réunies. Peut-être aurait-il été utile d’offrir une densité plus prégnante à cette relecture (le roman original garde ce cachet de profondeur et d’acceptation passive pour une situation qui phagocyte les droits humains).
La lecture nous plonge directement dans l’atmosphère idoine, dans cet enfer qui résonne en nous et les personnages ont tous cette essence originale et cette faculté empathique. Avec eux, on s’étonne, on s’insurge, on se laisse aller à des penchants émotionnels, on souffre et on cherche un sens à ce marasme qui voudrait oblitérer la signification de ce mot.
Aux commandes de cette parution, Jean-Christophe Derrien, le scénariste bien connu de la série pour grands enfants « Frygiel et Fluffy » et Rémi Torregrossa, freelance pour Lanfeust Magazine et père de deux séries en production (« Triskell » et « Ligue 1 Managers ») œuvrent de concert d’admirable façon. Leur « 1984 » est sans aucun doute plus qu’une adaptation appliquée. C’est un hommage au roi George, tout simplement.