Paris : Gallimard, 2020, 384 pages, 18 € (Série noire)
🙂 🙂 Fachos et mafieux
La jeune Maryam Binébine n’attirait l’attention de personne, ses quelques amis la voyaient comme une fille solitaire, qui tenait au loin ses vieux démons de sexualité débridée et de drogue ; qui sortait certes, mais dont la vie semblait équilibrée entre un job non pas passionnant mais rémunérateur et un amoureux avec qui elle pensait à sauter le grand pas vers la vie en commun. Lorsque Salima, sa meilleure amie, la retrouve égorgée dans son lit, le choc est rude. Mais le commissaire Deniz Salvère, d’Europol, qui s’est auto-saisi de l’affaire dès qu’il en a entendu parler, ne peut croire que Salima soit si surprise que cela. Il soupçonne celle-ci den savoir bien plus sur les activités annexes de Maryam, ces moments où elle zonait sur le net et enquêtait sur des groupuscules d’extrême-droite, infos qu’elle transmettait à quelqu’un d’Europol. Alors, Salvère décide, avec l’aide de sa petite équipe, de mener son enquête, convaincu de l’urgence d’en savoir plus sur les liens qu’entretiennent les groupes sur lesquels Maryam enquêtait avec des mouvements purement mafieuxvenus d’Europe de l’Est, parce qu’il pense intimement que c’est de là que viendront les prochains attentatsen Europe.
Mafieux slovaques
En alternance avec cette enquête, nous suivons l’ascension de Milosz, un jeune slovaque, embrigadé dans une nébuleuse organisation patriotique, pour laquelle il va d’abord jouer les gros bras avant de se voir proposer d’exercer ses talents d’informaticien. Planqué dans une open-space anonyme, il va passer ses journées à pirater des systèmes informatiques et à constituer des banques de données à partir de profils captés sur les réseaux sociaux. Il sent bien que tout cela n’est pas clair mais il a envie de sortir de la misère, de s’installer avec sa fiancée, de fonder une famille. Pour cela, il a besoin d’argent et ses patrons payent bien. Trop bien ?
Thèmes originaux et actuels
Avec ce premier titre mêlant thèmes polardeux, politiques et cyber-technologiques, Jacques Moulins (dont le 4ème de couv’ nous dit qu’il est journaliste), nous plonge dans les arcanes d’Europol avec une justesse éclairante. Loin de l’image ancienne d’une coopérative qui se limiterait à transmettre des renseignements d’un pays européens à l’autre, Europol se révèle comme une nouvelle force de police à part entière, répondant aux missions fixées par l’UE, soumise à des pressions politiques et des règlements insoupçonnés. Comme dans d’autres polices nationales, la guerre inter-services y fait rage et de nombreux sous-chefs tentent de tirer la couverture (médiatique) à eux. Si le nombre de personnages est important, Moulins tient bon la barre (on s’y perd quand même de temps en temps) et nous emmène des Pays-Bas à l’Allemagne en passant par Paris et la Slovaquie, sur les traces de criminels ne se limitant plus à certains domaines et se moquant bien des frontières. Le constat sur la puissance de la cybercriminalité se révèle assez effrayant, tout autant que celui que l’auteur porte sur la montée du nombre d’agressions envers les élus politiques, chiffres qu’il soupçonne de nombreux pays de l’UE de ne pas révéler. Parfois un peu longue et trop tortueuse, l’intrigue possède l’immense mérite de l’originalité et de l’actualité de ses thèmes, couplée à une galerie de personnages crédibles et attachants, que l’on va sans doute retrouver sous peu, vu la fin glaçante mais ouverte que nous propose l’auteur.