Bloch, Robert : d’après H.P. Lovecraft : préface, révision et traduction des inédits par Patrick Mallet
Fantastique
Val-d’Oingt : Mnémos, 2021, 420 pages, 22 €
🙂 🙂 🙂 Délectable terreur
Robert qui ?
Robert Bloch a donné quelques lettres de noblesse au genre policier, du suspense psychologique et de la terreur. Il suffit de citer « Psychose » (dont Hitchcock a tiré son impérissable film) ou « L’écharpe » pour être convaincu.
Ce qu’on sait peut-être moins, c’est que le jeune Robert Bloch a été un fan inconsidéré de Howard Philip Lovecraft, le célèbre conteur noir de Providence. Le personnage de Chtulhu et tout le bestiaire infernal à sa suite ont fortement impressionné Robert Bloch, alors adolescent et déjà titillé par l’envie d’écrire de la fiction. A tel point que les deux auteurs, l’un confirmé l’autre en devenir, vont entretenir une correspondance suivie, faite d’hommages mutuels, de conseils d’écriture, de jeux littéraires. Ces derniers donneront naissance, dans leur carrière respective, à des textes où Lovecraft devient un personnage du récit de Bloch et vice-versa.
Talent précoce
Très tôt, dès 15 ans, Robert Bloch s’essaie à la rédaction de fictions courtes. Bien entendu, son inspiration le porte à adopter les madeleines littéraires de son mentor. Il exploite alors le sentiment d’une peur qui étrangle, qui tétanise, qui pétrifie les pauvres quidams qui doivent l’expérimenter. Les Grands Anciens, les Dieux déchus en attente de renaissance, les secrets inavouables ayant opéré au développement de la terre et de la race humaine, les trésors maudits se retrouvent au cœur d’une production qui, au fil du temps, s’affine du point de vue stylistique. D’imitateur toléré, Bloch construit sa propre identité d’auteur, se départit peu à peu de l’ambiance mortifère que Lovecraft instille partout. Si sa langue n’est pas exempte de tout reproche, elle ne s’en révèle pas moins efficace, addictive, directe et parée d’une grande maîtrise de la mise en scène (pas étonnant que bon nombre de ses écrits aient été transposés presque in-extenso sur la pellicule !).
Un découpage étudié
L’ouvrage proposé par Patrick Mallet regroupe l’intégralité des textes (25) que Bloch a écrit sous l’influence de Lovecraft. Il débute par les trois véritables collaborations créatrices des deux auteurs, en commençant par l’inévitable « Chose venue des étoiles ». Dans la seconde partie, ce sont les textes d’inspiration égyptienne qui nous sont proposés. La civilisation égyptienne a toujours bénéficié de cette aura de mystère et de magie, sans oublier les nombreuses malédictions attachées aux forfaitures des pilleurs de tombeaux. La troisième et dernière partie regroupe les histoires qui font directement référence au(x) mythe(s) lovecraftiens et c’est ici que l’on peut prendre la pleine mesure du talent de Robert Bloch. Cette séparation est d’autant plus intéressante que les textes présentés le sont par ordre chronologique de rédaction.
Lire ces nouvelles aujourd’hui, même si certaines gardent un goût suranné appuyé, reste toujours d’actualité. Bloch fait partie de ces auteurs qui aiment prendre le lecteur par la main, pour l’emmener vers d’insondables profondeurs où résident les pires abominations, menaces ou secrets (Stephen King se revendique d’ailleurs de lui, tout comme de Richard Matheson ou de Frédéric Brown, deux autres « faiseurs » emblématiques du suspense et de la terreur). Il parvient toujours à accrocher, en quelques phrases et à ne plus lâcher le lecteur jusqu’à un dénouement où s’invite volontiers la cruauté, l’horreur absolue (voire organique) ainsi que la folie !
L’ouvrage édité par les excellentes éditions Mnémos constitue un corpus incontournable pour l’amateur, une sorte de testament littéraire ultime, mais également un formidable déclencheur d’émotions ambivalentes, une immersion dans des mondes macabres et désespérés, sur le fil d’une réalité qui tient cependant toujours face à l’impossible. Bloch parvient à nous faire croire à l’improbable, à l’invisible grâce à un art évident de la vraisemblance.
Injustement reconnu, Bloch est un auteur important, autant dans ces créations inspirées que dans sa production policière ou de suspense. Plonger dans un de ces livres, recueil de nouvelles ou romans, transformera tout amateur de littérature de l’imaginaire en fan absolu. Je m’en porte personnellement garant.
