Chang Kuo-Li ; traduit du mandarin (Taïwan) par Alexis Brossolet
Policier & Thriller
Paris : Gallimard, 359 pages, 19 € (Série noire)
🙂 🙂 🙂 À onze jours de la retraite
En Italie, un homme d’origine asiatique voyage le plus anonymement possible, sautant d’un train à l’autre, en prenant soin de modifier régulièrement son apparence. De Pise à Rome, son trajet connaîtra moult rebours et arrêts de longue durée en des gares périphériques.
À Taipei, banlieue de Taïwan, le superintendant Wu -à 11 jours de la retraite- met un terme à une sombre affaire de fraude à la pension commise par une bande de paysans dégénérés. Wu, de prime abord, détonne dans un monde que l’on imagine à tort policé ; si un Dirty Harry asiatique devait exister, peut-être serait-ce Wu. Il dézingue moins que Harry, certes, mais il ne faut pas le prendre pour une bille et son vocabulaire en témoigne. Le soir de cette mémorable arrestation, il est appelé sur une scène trop vite baptisée de suicide par ses collègues. Il y trouve le cadavre d’un officier du Bureau des commandes de l’armée, assis dans une chambre d’hôtel, un flingue à portée de main. Peu de temps plus tard, un deuxième cadavre d’officier se voit rejeté par la mer, non loin de là, sur la plage des Perles.
Finalement arrivé à Rome, notre discret voyageur asiatique, un tireur d’élite nommé Ai Li -Alex pour ses intimes- prend connaissance de sa mission et l’exécute avec diligence.
Quelques heures plus tard, alors qu’il constate qu’il est à présent pris en chasse par un tueur aussi expérimenté que lui, Alex apprend que sa victime n’était autre qu’un conseiller spécial du président taiwanais.
Un vent de fraîcheur dans le monde du polar
Les trois premiers quarts du roman alternent scènes européennes d’une part -la fuite d’Alex de l’Italie vers la Hongrie puis la Tchéquie, sa tentative de comprendre ce qui lui arrive, qui veut lui faire la peau- et d’autre part, l’enquête de Wu à Taïwan. Le tout se révèle parfaitement mené, le nombre réduit de personnages et l’habitude que prend l’auteur de dresser régulièrement et avec à-propos de brefs résumés de la situationcontribuent à l’étonnante fluidité du récit (oui, le lecteur européen de base que je suis craignait de se retrouver largué tant par les noms de lieux que par ceux des personnages : il n’en fût rien, au temps pour les a priori). Complexe et pourtant parfaitement compréhensible, l’intrigue politico-policière (inspirée de l’affaire des Frégates de Taïwan qui a défrayé la chronique dans les années ’90) nous dépayse sans verser dans le pédagogique : son auteur place simplement ses personnages et son histoire dans le cadre qu’il connaît le mieux, le sien. Ce même auteur, très fin décidément, disperse çà et là ses pointes d’humour pince-sans-rire : « Lili accordait beaucoup d’importance à la qualité de son café. Comme en témoignait son célibat tardif, elle était malheureusement tout aussi difficile quant aux hommes ».
Premier volume d’un cycle à paraître dans la Série noire, « Le sniper, son wok et son fusil » se révèle une découverte étonnante, qui apporte un petit vent de fraîcheur dans le monde du polar. Sa lecture terminée, la curiosité qui nous a poussé vers lui s’en trouve raffermie, et l’on en vient à espérer que le superintendant Wu ait finalement renoncé à prendre sa retraite.