Paris : Gallimard, 2021, 261 pages, 14 € (Série noire)
🙂 🙂 🙂 « Verjat, il est à Montpellier, Verjat ! »
L’inspecteur Germain Verjat souffre du syndrome du bon sheriff : toutes ces années passées à poursuivre les voleurs, violeurs et autres flingueurs l’ont poussé à se forger une conception très idéaliste de la justice. Pour lui, il s’agit tout simplement de fiche les méchants derrière les barreaux. Malheureusement, il doit bien le constater : « il y a maintenant deux sortes de policiers : ceux qui font de la politique et ceux qui n’en font pas ». Et lui, il appartient à la seconde : il ne couvre pas ses arrières, il n’a peur de déplaire ni aux politiques ni aux magistrats. Et le voici, à presque 50 ans, accusé par ceux-là même auxquels il a rendu tant de services mais qu’il a sans doute froissé bien des fois, ces politicards et juges de province. Accusé d’avoir entretenu des relations privilégiées avec la pègre, d’avoir palpé. Il a beau leur clamer que « les sources de nos informations ne coulent pas chez les franciscains », tenter de leur faire comprendre que la grande majorité des affaires criminelles ne se résout que grâce aux informateurs, rien n’y fait, les abrutis hypocrites veulent sa peau. Pour l’exemple. Alors, plutôt que de se laisser couler tout doucement, Verjat et Maurat, son adjoint et complice de toujours, décident de passer à l’action et pour une fois, de se servir.
L’ère de l’hypocrisie
Originellement publié en Série Noire en 1974, « Adieu poulet » est l’œuvre de Jean Laborde, un journaliste français, spécialisé dans les affaires criminelles, et auteur de polars sous divers pseudonymes, dont celui de Raf Valet. Réédité ces jours-ci par Gallimard dans la même collection (mais en plus grand format), l’œuvre n’a rien perdu de sa verve -même si parmi les quelques termes d’argot qui y fleurissent, certains n’évoqueront plus grand chose à bon nombre de lecteurs- et encore moins de son actualité. Début des années ’70, le mouvement de pourrissement des institutions était bien enclenché. Élus corrompus, malfrats, trafiquants de drogue, entrepreneurs véreux, flics suivant le sens du vent : tout ce beau monde batifolait gaiement au rythme des arrivées d’argent sale. En face, des policiers comme Maurat et Verjat pensent accomplir leur travail correctement, même s’ils doivent se mouiller. Mais, déjà à leur époque et dans leurs propres rangs, tous les deux le constatent : « nous retombons dans l’ère de l’hypocrisie ». C’est là la question principale du bouquin : comment, si pour des raisons excessivement vertueuses un magistrat pointilleux, coincé et trop heureux de casser du flic les en empêche, comment les policiers peuvent-ils exercer leur véritable boulot, soit punir les méchants et protéger les gentils ? Le constat de Maurat est cinglant : « je croyais que la loi était faite pour empêcher les injustices, je me suis aperçu qu’elle les favorise ».
Doublé gagnant
Pour ceux qui ont vu et aimé le film du même titre réalisé en 1975 par Pierre Granier-Deferre, le roman se révèlera -même si on y retrouve le même humour ironique- plus acide et plus fortement teinté du désenchantement et de la perte des illusions. Interprété par Lino Ventura, le personnage de Verjat relevait de l’archétype du héros incompris. Mais il était irréprochable et ce dont il était accusé relevait du coup monté. Le Verjat du bouquin ne nie pas s’être réellement mouillé…pour la bonne cause. Et la façon très intelligente et aventureuse avec laquelle il tire ici les marrons du feu ne transparaît pas non plus dans le film. C’est tant mieux, nous voici avec un roman à l’intrigue politico-policière enlevée, dénonciatrice et toujours actuelle, qui repose sur des dialogues vifs et verts, fort différent de son adaptation cinématographique. Adaptation qui n’en restera pas moins un classique du genre -notamment grâce à sa dernière réplique mythique, utilisée comme titre de cette chronique. Doublé gagnant.