Après avoir participé activement aux évènements de 1968, Elise, une jeune chanteuse française montée à Paris quelques années plus tôt, ne peut se résoudre au retour à la normale. Avec quelques amis, elle prend part à différentes luttes sociales qui, plus que de lui tenir à cœur, deviennent une évidence, quasiment comme le sang coule dans ses veines tant que son cœur bat ; il est des actions qu’elle doit mener sans quoi elle ne serait plus elle-même. Au nom de ses convictions, elle fera fi de ses conditions d’existence ou de sa carrière de chanteuse. Plus rien d’autre ne comptera. Elle se consacrera tantôt à la défense des travailleurs exploités par des petits chefs autoritaires, tantôt à celle d’algériens parqués dans d’insalubres baraquements, puis, lorsqu’ils osent manifester, matraqués et jetés à l’eau. Ébranlée par les conditions de vie des ouvriers, elle ira jusqu’à se faire engager dans des usines pour accompagner les travailleurs dans leurs prises de conscience et dans leurs luttes. Avec son compagnon d’alors, elle rejoint une organisation maoïste, la Gauche Prolétarienne, rapidement considérée comme ennemie jurée du pouvoir en place. Une vie clandestine, sans véritable chez-soi, sans contact avec ses proches, une vie uniquement consacrée à l’action révolutionnaire, commence alors.
Faire œuvre mémorielle
En 2008 paraissait chez Casterman « 1968-2008, n’effacez pas nos traces », un formidable petit bouquin accompagné d’un cd de chansons engagées, écrites, composées et chantées par Dominique Grange, la compagne de Jacques Tardi. Celui-ci illustrait en de grandes cases aux couleurs rouge sang et gris pavé les chansons figurant sur l’album. Les deux auteurs commémoraient ainsi à leur manière, et parmi les nombreux autres ouvrages parus à cette époque sur le sujet, les évènements de Mai 68. Il ne s’agissait pas d’un livre mélancolique, regrettant une époque révolue ; les auteurs y faisaient œuvre mémorielle, sans pathos, sans rien idéaliser non plus. Un témoignage d’un passé qui en 2008, n’était toujours pas révolu.
Méthodes révolutionnaires
Avec le parcours d’Elise et de ses « nouveaux partisans », auto-fiction inspirée en partie de celui de Dominique Grange, c’est au même esprit de témoignage que les deux auteurs répondent. À les lire, on découvre une France des années ’70 ankylosée, retombant dans l’avant-68, dominée par une droite ultra-conservatrice, raciste et exploitant sans vergogne des classes ouvrières maintenues dans la misère. L’impunité totale des forces de police leur permettait de réprimer avec une brutalité et une violence inouïe la moindre revendication émancipatrice. Pesante, la chape de plomb paraissait inamovible. Pour tenter de la fissurer, les nouveaux partisans s’en référaient aux méthodes révolutionnaires et pratico-pratiques édictées par Mao dans son « Petit livre rouge ». Les travers de la Révolution culturelle n’ayant été mis au jour que plus tard, aucun doute n’habitait Elise et ses compagnons. D’ailleurs, si aucune forme de nostalgie ou de romantisme ne suinte de la bd de Tardi et Grange, elle ne laisse pas non plus transparaître le moindre regret pour cette époque de luttes, tant tous les deux continuent, avec raison, de penser que finalement, rien ne change dans les rapports de force, que l’injustice sociale perdure à travers le temps, que 1968, c’est aujourd’hui.
Entretenir la capacité d’indignation
Un témoignage puissant dans lequel certaines pages serrent les tripes et incitent à la révolte -par exemple, lorsque Elise se voit juger et condamnée à la va-vite, et finit en prison. Conserver intacte et entretenir la capacité d’indignation de leurs lecteurs, voilà sans doute un objectif atteint par ces deux formidables artistes. Du grand œuvre, qui évite les lourdeurs didactiques pour coller au plus près du vécu de ses personnages, un récit de vie passionnant et exemplaire, qui relève d’une évidente actualité.