Paris : Gallimard, 2022; 365 pages, 19 € (Série noire)
🙂 🙂 Le paradis des branquignols
Sébastien Gendron nous avait épatés avec « Révolution » et « Fin de siècle », deux romans qui soulignaient son affection pour ces polars français dans lesquels un langage fleuri tient la dragée haute à une histoire solide, rondement menée, distrayante en plein, bref, un condensé de littérature populaire au sens noble du terme.
Une intrigue follement imprévisible
Avec « Chez Paradis », Gendron creuse la voie empruntée dans les deux titres précités et nous sert une intrigue encore mieux ficelée, plus efficace, plus directe, et follement imprévisible. Celle-ci prend sa source dans les années ’80, lors du braquage d’un fourgon blindé. Hormis un convoyeur survivant, tout ce que les flics ont trouvé sur les lieux ce sont les cadavres des deux autres convoyeurs et des trois braqueurs, ainsi que le corps inanimé d’un jeune gars qui passait par là sur sa mobylette. Vu les balles qu’il avait prises, personne ne donna cher de sa peau et surtout pas Max Dodman, le convoyeur rescapé qui récolta les félicitations des banquiers et d’une population trop heureuse de voir en ce type d’une normalité confondante un nouvel héros des temps modernes. Non seulement Dodman ne croyait pas que le gamin réchapperait des deux balles -dont une dans l’œil- qu’il lui avait logé mais il l’espérait vivement tant sa version héroïque des évènements pouvait sortir salement écornée si le gamin donnait la sienne. Des années plus tard, à la tête d’un garage paumé de la France rurale, Dodman est devenu le sale type qui sommeillait en lui du temps où il portait l’uniforme de convoyeur. Il arnaque les clients de passage, loue ses annexes à des réalisateurs de porno à la petite semaine, rend des « services » au maire corrompu, maltraite sa femme, son apprenti et son chien. Agressif et brutal, Dodman n’est pour autant pas idiot : aussi, lorsqu’il voit débarquer chez lui un gaillard d’une quarantaine d’années se prétendant en quête d’un garage comme le sien pour les besoins d’un film qui se tournera prochainement dans la région, ben…il se méfie. Et sans doute a t-il raison.
Détermination vengeresse vacillante
La galerie de personnages peuplant « chez Paradis » se révèle assez rapidement impressionnante, tant par la taille que par la diversité et la crédibilité de chacun de ses composants. Des réalisateurs de porno branquignols à l’épouse délaissée mais pas soumise, de l’actrice hardeuse dure à cuire à l’apprenti mécano humilié jour après jour par Dodman, on passe au maire, à son bras droit qui se donne des airs d’ancien légionnaire et on bifurque vers un type affublé d’une prothèse à l’œil, dont la détermination vengeressevacille au fil d’une intrigue qu’on ne lâche qu’avec réticence. Ici, l’absurde joue pleinement son rôle de loupe des travers humains, les traits psychologiques des personnages ne sont jamais figés, ceux-ci arrivant toujours à nous surprendre en agissant à rebours de ce que nous attendions. Gendron nous livre un polar rural jouissif, une intrigue pétaradante et maligne, à mille lieues de la bien-pensance actuelle, toujours sur le fil entre franche rigolade, scènes d’action tonitruantes ou tristement violentes. De la Série noire comme ça, on dit oui !
1 Commentaire. Leave new
Merci M. Fanuel pour cette attentive lecture et le bien que vous en dites.