Deitch, Hannah; traduit de l’anglais (E.U.) par Cindy Colin-Kapen
Policier & Thriller
Paris : Sonatine, 2025, 392 pages, 23 €
🙂 🙂 Road-trip échevelé
Evie Gordon, une universitaire de 29 ans, donne des cours particuliers à des ados dans la banlieue de Los Angeles. Un jour, elle découvre les parents d’une de ses élèves assassinés à leur domicile. Ce n’est pas joli à voir et Evie décide de se tirer vite fait. Alors qu’elle est presque arrivée à la sortie de la maison, elle entend une voix appeler à l’aide. Après quelques recherches, elle trouve une jeune femme, la trentaine comme elle, enfermée et entravée dans un placard sous l’escalier menant aux étages. Toutes deux s’arrachent de la maison au plus vite. Peu de temps après, elles se rendent compte que le double crime leur est imputé et que la moitié du pays est à leurs trousses. Une véritable cavale à travers les États-Unis commence alors.
Haro sur les meurtrières
Premier roman pour Hannah Deitch, une journaliste vivant à LA et ayant elle-même donné des cours particuliers, « Ennemies publiques » (« Killer potential » en anglais) sent le vécu dans le portrait d’Evie : la solitude affective, le manque d’assurance, les hautes études et les grandes capacités intellectuelles qui n’empêchent pas les galères, les petits boulots qui s’enchaînent, la peur de végéter… La rencontre avec Jae, puisque c’est comme ça que se prénomme la prisonnière libérée du placard, va progressivement tout changer pour Evie. Contrainte et forcée de sortir de sa routine, de prendre la fuite et de se cacher en permanence, elle se révèle à elle-même et prend conscience de l’impasse dans laquelle elle se trouvait. Au départ couple improbable, les deux filles se complèteront bien : Evie, fûtée, réfléchie et capable d’anticiper, s’étonne de voir Jae, «dure et coriace », faire rapidement preuve de prédispositions dans le domaine criminel : voler une voiture puis de la nourriture dans les supermarchés, se défendre et terrasser des types plus costauds qu’elle, autant de non-problèmes pour la jeune femme. Entre elles deux, ce sera très vite « à la vie, à la mort »… et l’amour en plus. Car, au fil de leur road trip échevelé, la meute à leurs trousses se renforcera des représentants mâles les moins reluisants de l’espèce humaine, et les deux jeunes femmes, obligées de lutter ensemble et âprement pour leur survie, se rapprocheront intimement. D’autant que le traitement médiatique qui leur est réservé se révèle à l’image de notre époque : rapide, irréfléchi, dénué de nuance et réducteur. Alors que finalement peu de faits sont prouvés, l’ensemble des médias crie harosur les meurtrières et la population suit sur les réseaux, on se scandalise, on condamne et on voudrait voir les deux jeunes femmes mortes. Evie et Jae contre le reste des Etats-Unis : avouons-le, on tremble souvent pour elles, Hanna Deitch réussissant à brosser avec réalisme, via le spectre d’un fait divers, l’effrayant tableau de notre société sans pitié pour ceux que l’on jette en pâture à ses yeux. On pense au film « Thelma et Louise » évidemment, mais aussi au « Fugitif » campé par Harrison Ford. Une intrigue enlevée et tonique, très psychologique aussi, un style dense, ponctué de formules qui font mouche : voilà un premier roman réussi pour Hanna Deitch.