Bui, Doan (scénario) & Plée, Leslie (dessin et couleur)
Bande dessinée
Paris : Delcourt, 2021, 192 pages, 22.95 €
🙂 🙂 🙂 Vérités alternatives et complotistes
Si vous fréquentez régulièrement les bibliothèques ou les librairies, le phénomène ne vous aura pas échappé : il se publie de plus en plus de bandes dessinées à vocation documentaire. Le climat, le racisme, des biographies diverses, de la philosophie : aucun domaine de la connaissance ne semble échapper au courant, la plupart du temps avec bonheur. C’est encore le cas ici, avec ce « Fake news », deuxième collaboration entre la journaliste Doan Bui et la dessinatrice Leslie Pée, après leur « C’est quoi un terroriste ? » (Delcourt, 2019).
Fact-checking et engagement
On le sait depuis son formidable « Moi vivant, vous n’aurez jamais de pause » (Gawsevitch, 2009), Leslie Pée a le don de présenter les situations les plus glaçantes, révoltantes et tristes sur un ton engagé mais dépourvu de tout pathos et d’esprit de polémique. Vu la gravité de certains sujets, l’humour fin qu’elle arrive à déployer dans ses dessins se révèle bien souvent salvateur et toujours à propos. L’enquête menée ici n’est exempte d’aucune de ces qualités. Habilement découpé en chapitres qui se répondent mais qui permettent également une lecture en plusieurs étapes, le bouquin compulse en mode proche du fact-checking les thèmes favoris des complotistes de tous bords et les sujets les plus susceptibles de faire l’objet de vérités alternatives. On commence avec les « truthers » (vous ne savez pas ce que c’est ? idem pour moi avant d’entamer cette lecture, voilà déjà une bonne raison de vous y plonger vous aussi), on passe par les platistes, les anti-vaccins ou les climatosceptiques et on enchaine sur les usines à clics en Europe de l’est.
Une invitation à exercer son esprit critique
Au-delà du constat documenté et amer qui est ici posé (recul de la science face aux croyances, déshérence du débat d’idée au profit de l’invective), les autrices -toujours en mode factuel- alimentent la réflexion en mettant en évidence les raisons de ces dérives et de ce recul de la pensée scientifique. Qu’elles soient psychologiques (facilité intellectuelle, besoin d’appartenir à un groupe) ou matérielles (rôle effrayant des algorithmes sur les réseaux sociaux), les différentes causes ne relèvent pas de l’inéluctable et c’est sans doute une des richesses du livre : en donnant quelques pistes pratiques, il invite chacun à exercer son esprit critique. À lire, puis à prêter, donner, faire circuler !