La cavale de Jaxie Clackton

Quand il découvre son salaud de père écrasé sous le poids de son propre pick-up -le vieux, probablement trop bourré, n’avait pas anticipé la fragilité de son cric- Jaxie Claxton sait qu’il doit déguerpir au plus tôt. En ville, tout le monde haïssait son père, lui en premier. Mais aucun d’entre eux n’auraient osé s’opposer au vieux et ils allaient lui mettre la responsabilité de cette mort sur le paletot, c’était garanti. À présent orphelin, sans ressources, sans ami ou autre famille sur qui compter qu’une cousine dont il est éperdument amoureux, c’est pedibus que Jaxie prend le large avec l’idée de rejoindre cette dernière. Entre elle et lui, c’est à la vie, à la mort. Mais c’est aussi quelques centaines de kilomètres de bush australien, du sable, des buissons d’épineux et un soleil brûlant.

L’oubliette

Alors qu’il croyait traverser une zone vide de toute présence humaine, Jackie tombe par hasard sur une cabane habitée par un vieil homme solitaire. Dépourvue de tout confort moderne -ni eau, ni électricité, pas de commerce à des kilomètres à la ronde- la cabane pourrait aussi bien faire figure d’oubliette. Et, au fil de leurs conversations, Jackie comprend que c’est finalement bien ce qu’elle est pour Fintan, son hôte : un lieu où, deux fois l’an, un inconnu vient lui apporter le strict minimum, où il s’est construit un piège à kangourou -dont il fait sécher la viande- et un système de collecte d’eau de pluie. Fintan reste évasif sur les raisons qui l’ont conduit à cet exil et, s’il se livre progressivement à Jaxie, c’est avec beaucoup de méfiance que ce dernier recueille ses confidences. À force, Jaxie accepte la proposition de Fintan de passer quelques jours avec lui, le temps de reprendre de forces. C’est par hasard qu’il découvrira, à quelques kilomètres de la cabane, une installation ultra-moderne dédiée à un trafic illicite…

Roman noir sur fond de nature sauvage

Soutenue par un style direct, sans fioriture, presque ‘à l’os’, l’intrigue de « La cavale de Jaxie Claxton » prend pourtant le temps de s’installer. Il faut quasi avoir atteint la moitié du roman avant d’assister à la rencontre entre les deux personnages principaux. Cet intervalle est occupé par la lente marche de Jaxie dans le bush, autant de temps qu’il consacre à se remémorer une enfance qui a fait de lui un ado au caractère abrupt, méfiant et dépourvu de confiance envers tout adulte. La simplicité de la vie avec Fintan lui paraît trop belle, si le vieil homme l’accueille aussi gentiment, c’est forcément qu’il est animé de mauvaises intentions. Leurs échanges, crus et souvent rendus drôles par un langage imagé et un humour acerbe, illustrent la relation chaotique que tissent le vieil homme en recherche de compagnie et désireux de partager son maigre savoir, et l’adolescent revêche et avide de reprendre la route. Aussi sec que le bush australien, voici un roman noir sur fond de nature sauvage qui aurait gagné à conserver son titre original (« La cabane du berger ») qui reflète tellement mieux son intrigue. Celle-ci s’attache effectivement à la mise à l’écart -la retraite ?- de deux personnages, isolés du reste du monde et forcés à se remettre en question, à se comprendre mutuellement et à affronter ensemble les impondérables naturels et humains, bien plus qu’elle ne décrirait la fuite désordonnée de l’un d’eux. Loin de tout tape-à-l’œil, quasi dépourvu de scène d’action, il tire son épingle du jeu par la profondeur psychologique de ses deux personnages principaux et par la peinture impitoyablement évocatrice des journées qu’ils consacrent consciemment à chasser, manger, boire, dormir… et inconsciemment à retrouver ce qui fait d’eux des êtres humains.

Barbara Mazuin