Kraus, Chris ; traduit de l’allemand par Rose Labourie
Littérature générale
Paris : 10/18, 2020, 1104 pages, 10.20 € (Littérature étrangère)
🙂 🙂 Salauds ordinaires
L’intrigue prend racine en Lettonie, à Riga, dans la famille Solm. Outre les parents, deux frères, Hubert – Hub- et Konstantin –Koja- entretiennent un puissant lien d’admiration et de domination depuis l’enfance. Très jeunes, ils sont rejoints par Ev, une jeune fille adoptée par leurs parents et qu’ils considéreront immédiatement comme leur sœur à part entière.
Romanesque en diable
Au cœur de la tourmente qui secoue l’Allemagne et l’URSS avant-guerre, la ville de Riga subit successivement des périodes de domination soviétique et nazie. Opportuniste, Hub se mettra au service des Nazis et, jouant de son influence, il entraîne Koja dans son sillage. Jour après jour, les deux frères s’enfonceront dans l’innommable, en tentant de cacher la réalité à leur sœur. Ample (plus de 800 pages), superbement écrit, évocateur et romanesque en diable –on n’échappe pas à un petit côté « mélo »- « La fabrique des salauds » retrace les débuts du nazisme jusqu’à la fin de la guerre, sans s’arrêter là.
Soldats d’arrière-garde
Les deux frères étant plutôt des soldats d’arrière-garde (tous deux sont à cette époque actifs dans le renseignement), ils ne tarderont pas à être recrutés dès 1945 par des services « alliés ». On assiste alors à la naissance des services secrets est-allemands, aux débuts de la CIA et du KGB, le tout dans l’ambiance électrique de la Guerre Froide. Au-delà de cette puissante fresque historique qui devrait plaire aux amateurs des « Bienveillantes » de Jonathan Littel ou de « Confiteor » de Jaume Cabre, le livre vaut surtout pour son portrait d’hommes et de femmes ordinaires plongés dans des évènements extraordinaires, pour les sentiments qui les relient les uns aux autres et pour les capacités de certains d’entre eux à briser toutes les règles de la morale et de la fidélité. « Comment devient-on un salaud ? » semble se demander l’auteur….Il y répond brillamment, de manière dramatique certes, mais aussi avec beaucoup d’humour et en se référant sans cesse à l’art, la vraie passion de Koja.