Le pays est dévasté par la révolution culturelle. Les fanatismes les plus exacerbés conduisent à des erreurs et des tragédies irréparables. Ye Wenjie, jeune astrophysicienne dévastée par la mort brutale de ses parents, doit subir une rééducation en camp de travail à cause de sa filiation. Passible de la sanction ultime pour avoir été surprise à détenir et lire Silent Spring de Rachel Carson, elle se retrouve dans la base secrète de Côte Rouge, surmontée d’une immense antenne parabolique. Le but de ces installations est l’hypothétique communication avec une civilisation extraterrestre avec le secret espoir d’en tirer des bénéfices qui permettraient de supplanter l’Occident. Par un heureux concours de circonstances, Ye Wenjie finit par travailler sur le projet et découvre un moyen ingénieux pour envoyer un message vers une zone de l’univers. A sa grande surprise, elle reçoit une réponse 8 années plus tard …
Chine, 2007
Wang Miao, spécialiste en nano-composants, est tiré de sa zone de confort lorsqu’il est réquisitionné par une commission militaire internationale. Escorté et protégé par l’inspecteur Shi Qiang, il doit faire face à une énigme apparemment insoluble : les plus grands scientifiques de la planète se suicident les uns après les autres pour des raisons incompréhensibles. Les recherches le mettent en contact avec un groupe ultraradical créé par Ye Wenjie, l’OTT, et lui font découvrir un jeu en réalité virtuelle, Les Trois Corps. Ce dernier permet au participant d’évoluer dans un décorum étrange et d’interagir avec des personnages clés de l’histoire humaine, surtout les figures marquantes de la Chine et les génies scientifiques. L’aspect le plus intrigant est ce lieu livré à des influences cosmiques aussi chaotiques que destructrices. La question est : quelle est la raison de l’existence et l’utilité de ce jeu ? Une lutte à mort oppose la faction internationale avec laquelle Miao collabore et l’OTT, le groupe aux desseins funestes. L’enjeu : la survie de l’humanité…
Balise Stellaire
Je me suis efforcé de pas dévoiler les ressorts de l’intrigue. Ce que ne s’est pas privée de faire la maison d’édition, le quatrième de couverture dévoilant trop d’informations et désamorçant le plaisir de la découverte. Si vous décidiez d’acquérir ce livre (il existe aujourd’hui en version poche, toujours chez Actes Sud), faites le maximum pour l’occulter.
En vieux routier de la littérature de science-fiction, c’est la première fois que je découvrais la prose d’un écrivain chinois. Liu Cixin, meilleur auteur du genre de son pays, voit paraître son roman en 2006. Il est traduit pour le marché américain en 2014 et nommé pour le Nebula la même année. Il finit par décrocher le Hugodu meilleur roman 2015. Publié en français en 2016, le fait qu’il le soit par une maison aussi respectée attire forcément l’attention. Je ne regretterai jamais ce choc culturel, la découverte de cet auteur étant, en ce qui me concerne, un des moments les plus mémorables de mon long cheminement livresque.
L’intrigue est tout bonnement formidable. Cixin a élaboré un récit qui fait s’entrelacer plusieurs sous-intrigues dont les points de convergence débouchent toujours sur une relance du récit. Aucun détail, même le plus infime, n’est superflu, chaque élément de l’histoire a son importance. Le vrai tour de passe-passe consiste à déphaser dans le temps les conséquences des évènements. La maestria avec laquelle l’auteur bâtit sa cathédrale romanesque laisse souvent sans voix. Pur produit du mouvement hard-science, le récit n’est jamais rébarbatif. Que du contraire, les mots et les phrases sont habités par une sorte de poésie qui nous est inconnue, venue en droite ligne de la culture chinoise, mais qui finit par faire mouche. Il en va de même pour les personnages. Au début, on peut les trouver lisses, voire ternes ou encore incompréhensibles. Mais, au fur et à mesure de la lecture, on en perçoit mieux la finesse et on finit par s’identifier à nombre d’entre eux (surtout le burlesque Shi Qiang). Bien sûr, les référentiels scientifiques sont légion : astrophysique, chimie, mathématiques, physique, théories quantiques, cosmologie (et j’en passe) sont le fonds de commerce du roman. J’ai lu sur le net de dures critiques fustigeant la justesse des théories scientifiques évoquées, reprochant à l’auteur de prendre certaines libertés avec elles. Primo, il faut savoir que la traduction a été supervisée par un docteur en astrophysique. Deusio, (à peu près) personne n’est intéressé par la lecture d’un traité de physique quantique. Tertio, c’est ici que le talent fou de Liu Cixin fait mouche : il redonne ses lettres de noblesses au merveilleux scientifique, le sense of wonder des Anglo-Saxons. C’est un des fondements de base de la science-fiction depuis la nuit des temps et si l’on devait mettre au pilori chaque livre du genre ayant pris des libertés avec les théories scientifiques, il ne resterait pas grand-chose sur nos rayonnages, surtout pas Jules Vernes ou H. G. Wellspour ne citer qu’eux. Le texte foisonne de moments de bravoure étourdissants comme, par exemple, les Intellectrons, des dispositifs à onze dimensions dont vous découvrirez l’utilité. Et, assurément, l’ingéniosité de Ye Wenjie en matière de communication cosmique ou encore l’animation du jeu des Trois Corps. Premier tome d’une trilogie, Le Problème à Trois Corpsest une remarquable réussite qui permet de découvrir un immense écrivain. Un ami, Michel, fondu de SF depuis aussi longtemps que moi et physicien, est du même avis : c’est la première fois depuis … le cycle Hyperion de Dan Simmons que nous sommes émerveillés à ce point par un récit de science-fiction. Et ce n’est pas fini : les deux suites sont d’un niveau encore supérieur !
