Le Reich de la Lune

Sinisalo, Johanne; traduit du finnois par Anne Colin du Terrail
Science-fiction
Actes Sud, 2018, 384 pages, (Exofictions), 23 €

🙂 🙂 Science-fiction ironique

Déjà auteure de quatre romans du domaine de la science-fiction publiés chez Actes Sud, la finnoise Johanna Sinisalo a largement contribué au scénario du film « Iron Sky »sorti en 2012. L’intrigue de ce film repose sur la même base que celle de ce roman : les nazis, mis en déroute par les alliés en 1944, ont gagné la Lune où, depuis, ils murissent un projet de revanche sur les « bolchéviques, les capitalistes et les asiates »qui règnent à présent en maître sur la Terre.

Nous entrons dans le roman via le journal intime de Renate Richter qui, en 2047, nous livre sa version de faits qui se sont déroulés en 2018 et dont certains ont été relatés, sous un autre angle, dans le film. L’accent est ici placé sur la vie quotidienne dans la forteresse nazie basée sur la face cachée de la Lune. Renate Richter raconte d’abord brièvement son enfance, mettant en parallèle des extraits de son journal intime entamé en 2001 alors qu’elle était gamine, avec ce qu’elle écrit en 2047. Le point de vue de la jeune fille est celui d’une société quasi-parfaite, égalitaire et soucieuse du bien-être de chacun. Il évolue avec le temps, lorsqu’elle se rend compte de la face sombre des mariages arrangés pour donner toutes ses chances à la génétique, ou de la retraite forcée dans une maison de repos inaccessible aux proches.

L’événement qui viendra amorcer définitivement le basculement de Renate dans une vision plus critique de la seule société qu’elle a jusqu’ici connue sera l’arrivée d’un terrien -James Washington- sur la Lune, suivie du voyage de retour vers la Terre qu’elle entamera en sa compagnie, dans des circonstances et pour des raisons diversement rocambolesques.  C’est à proprement parler sur le séjour terrestre de Renate que repose toute l’intrigue, que nous ne suivrons toujours que via son journal intime. Elle y note son étonnement -parfois son effarement- face à nos mœurs et habitudes de vie, tellement légères et insouciantes par rapport aux conditions vécues sur la Lune. Le gaspillage des ressources ou la futilité de ce qui circule sur internet la laissent pantoise et procure ainsi de savoureux moments de lecture et de réflexion : « on dirait que lorsqu’on utilise ce canal de diffusion, il est plus important de répéter comme une vérité les propos de ses amis ou connaissances que de se renseigner réellement sur le fonds des choses ». Le regard porté par Renate sur notre civilisation est celui d’un véritable Candide : si elle s’émerveille sincèrement de la beauté du ciel bleu, elle s’interroge tout aussi sincèrement devant une brosse à dents électrique : « je n’en voyais pas l’utilité, car le brossage en lui-même ne demandait pratiquement aucun effort physique ». Même si « Le Reich de la Lune » se présente comme un récit de science-fiction, il ne faut pas s’attendre à y découvrir de foisonnantes et pétaradantes scènes de combat intergalactique ou des personnages d’extra-terrestres plus ou moins monstrueux. S’il repose bien sur une trame qui maintient un certain suspense -que vont devenir Renate et James ? La Terre va-t-elle finalement être asservie au nazis ?- qui permet de maintenir l’attention du lecteur et donc son envie de poursuivre son chemin, c’est véritablement le regard d’entomologiste de Renate et le ton tantôt désabusé, tantôt ironique dont elle use qui font tout le sel du récit. On en ressort à la fois blindé contre les sociétés totalitaristes et convaincu qu’il est temps de mettre un terme aux dérives consuméristes de la nôtre.

Nicolas Fanuel

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