Ross, Mikaël ; traduit de l’allemand par Jean-Baptiste Coursaud
Bande dessinée
Paris : Dargaud, 2021, 193 pages, 19.90 €
🙂 🙂 🙂 Premiers pas d'un géant
Harcelé par ses créanciers, Johan van Beethoven harcèle lui-même son fils, Ludwig. Il s’agit que celui-ci s’exerce constamment au piano, mais également qu’il joue en public et fasse vivre la famille. Considéré comme un prodige, Ludwig aimerait sortir de ces morceaux trop faciles, trop connus, trop gais ou même mièvres que son père l’oblige à répéter ad nauseam. Ce qui l’intéresse, c’est de composer. La musique, sa musique, lui vrille le cerveau et tempête en lui. S’il a encore du mal à domestiquer le fleuve de notes qui bouillonne entre ses oreilles, chaque fois que sa mère ou un ami de son père entend une de ses compositions, leur visage se transforme. Entre étonnement et admiration, ils semblent frappés d’hébétude, comme si les notes incrustaient en eux l’essence de sentiments jusqu’alors à peine effleurés. Repéré par Joseph Haydn, Ludwig entrevoit enfin une porte de sortie….
Les faits et la fiction
L’auteur, Mikaël Ross (Munich, 1984) l’avoue dans une interview au « Soir » (10 mai 2021) : on sait peu de choses de la vie de Beethoven avant ses 25 ans et, parmi tous les portraits dont on dispose de lui, aucun ne se ressemble. Peu semble lui importer : assoir son récit sur des faits vérifiables, certes, et pour le reste, ce qui est forcément moins connu, on se base sur le contexte de l’époque et surtout, on inclut une part de fiction, un lot de création propre. Et ça marche, le récit, tonique et rageur, se dévore comme un steak saignant un lendemain de régime végétarien obligatoire. Dès le début (Beethoven est âgé de 7 ans) le caractère difficile, voire irascible, du futur maître, saute aux yeux. Son regard se vide de toute pupille, ses membres ne répondent plus à aucune proportion anatomique et ses invectives se révèlent imparables (il traite ses frères de « rongeurs de cervelle »). Avec un trait aussi éloigné de la ligne claire que la musique de Beethoven l’est du reggae, et qui rappellera celui d’un Christophe Blain ou d’un Joann Sfar, Ross réussit également le tour de force de représenter les mélodies autrement que par des notes qui satureraient les cases. Ainsi, la musique de Beethoven s’incarne-t-elle en des traits de couleurs surgissant du piano, avec la puissance d’une éruption volcanique. Le compositeur s’arc-boute sur son instrument, rapetisse alors que la musique emplit l’espace disponible, et essore les auditeurs. En presque 200 pages d’un récit sans temps mort, Ross nous entraîne jusqu’au début de l’âge adulte d’un Beethoven attachant par ses excès, sa force de travail, ses amours malheureux et les nombreuses maladies qui l’accablent. L’époque, le pays, les contemporains -prestigieux ou humbles- de Beethoven : Ross coche toutes les cases du récit biographiqueen bande dessinée, sans jamais verser dans le didactique ni oublier d’être émouvant et férocement drôle. Formidable !