Pugno, Laura ; traduit de l’italien par Marine Aubry-Morici
Science-fiction
Paris : Inculte, 2020, 171 pages, 16.90 € (Noir)
🙂 🙂 « L’humanité disparaîtra, bon débarras ! »
Quelques années plus tôt, la découverte d’une nouvelle espèce -les sirènes- avait défrayé la chronique. Celles-ci, mâles et femelles, furent rapidement utilisées puis, évidemment, exploitées au profit de l’homme.À présent, la race n’était plus représentée que par des spécimens d’élevage. Les élevages étaient illégaux, aux mains de puissantes yakuzas qui en revendaient la viande aux plus riches, ou qui, pour ces mêmes plus riches, sélectionnaient certaines femelles destinées à la satisfaction de leurs plaisirs morbides. Entretemps, une nouvelle maladie avait pointé le bout de son nez, le cancer noir, causé par le soleil et qui obligeait à vivre sous terre, si on en avait les moyens. À Underwater, dans les bunkers luxueux, ce sont encore ces mêmes riches qui peuvent s’abriter, alors qu’au-dessus, l’humanité tend à disparaître.
Un job facile
Samuel travaille pour les yakuzas dans un des bassins d’élevage de sirènes ; sa compagne, une asiatique que ses maîtres lui avaient donnée, et avec qui il avait finalement vécu plusieurs années heureux, vient de mourir du fameux cancer noir. Ses tâches sont rythmées par les périodes de reproduction des sirènes, celles de mises bas puis finalement celles d’abattage. Un job facile qui, pour peu que l’on ne s’attarde pas trop sur sa réalité, n’a rien de compliqué et qui assure un revenu régulier et donc des conditions de vie nettement plus appréciables que celles du commun vivant à la surface. Samuel est un privilégié. Il le sait et pourtant, il va consciemment mettre cette condition en danger. Un soir, attiré par une sirène femelle différente, il va plonger dans un bassin et s’unir à elle. Contre toute attente, celle-ci va porter le fruit de leur union.
Miroir impitoyable
Roman post-apocalyptique garanti zombie-free, « Sirènes » glace le sang d’un bout à l’autre. Par le rappel constant de l’exploitation de l’homme par l’homme (morphologiquement les sirènes sont au minimum à moitié humaines), par le parallèle qu’il trace avec la condition animale actuelle et par le portrait d’une humanité décimée lentement et sûrement par une maladie nouvelle, imprévue et sans remède, il nous tend là, tout de suite, le miroir impitoyable duquel nous préférerions nous détourner. La baffe d’à peine 172 pages nous arrive aussi rudement que le texte se révèle inconfortable, d’une lucidité féroce sur le genre humain et générateur de sentiments contradictoires. Si le genre post-apocalyptique livre son lot de récits de bruit et de fureur, « Sirènes » se distingue par l’économie de moyens dont il fait preuve, soit un récit quasi linéaire, à la violence constante mais plus instantanée que démonstrative, et dépourvu de héros juste et solitaire. Presque exclusivement peuplé de personnages masculins, il prend plaisir à nous démontrer qu’il n’y en a pas un pour relever l’autre, du petit employé au consommateur en passant par le chef de bande. Et certainement pas Samuel, dont la trajectoire n’a rien de valorisant : humain de son époque, il se complait dans le confort, exploiteur parmi les exploiteurs avant de croire qu’il peut se racheter une conduite dont les motivations restent brumeuses. Aveuglé par une excessive confiance en lui-même, il figure peut-être l’humanité dans sa globalité, sûre d’elle et pensant qu’elle s’en sortira toujours… Deuxième titre de la nouvelle collection « Noir » des éditions Inculte, après « Nous errons dans la nuit dévorées par le feu » : du noir qui réveille et qui ne se cantonne pas au polar donc, ce qui témoigne d’une réjouissante approche à 180°. Encore !