Vanves : Au diable Vauvert, 2025, 415 pages, 9.5 €
🙂 🙂 🙂 Big Brother is watching you
Le siècle dernier, George Orwell dévoilait sa terrifiante dystopie où chaque personne se voyait surveillée par un système politique omniprésent, calculateur et rondement façonné dans le dessein de contrôler les faits, les gestes et les pensées. Quelques décennies s’écoulèrent en dévoilant que la fiction demeure bien proche de la réalité, pour ne pas dire qu’elle la dépasse à bien des égards. Et cet ouvrage de Christopher Bouix nous montre une évolution de Big Brother, bien qu’il ne présente qu’une partie d’un système s’incrustant insidieusement dans le quotidien des familles.
Alfie expose le journal d’une IA domestique, dans un monde surconnecté. Afin de faciliter la vie de sa famille d’adoption, l’ordinateur analyse tous les faits et gestes des parents et de leurs deux filles. Ainsi, il parvient à se façonner des algorithmes pour comprendre le comportement des humains, afin de s’adapter parfaitement à chaque situation et à chaque besoin. Mais que faire lorsque la machine commence à se comporter comme un humain ?
Ok Alfie …
Dans ce roman, Christopher Bouix parvient à mélanger plusieurs sentiments opposés. Tout d’abord, en laissant parler l’IA, nous savourons le développement de sa compréhension des humains avec beaucoup d’amusement. Chaque acte se voit analyser avec rationalité, ce qui ne permet étrangement pas de cerner le fonctionnement de ce complexe esprit humain. Alfie constate rapidement que l’homme s’avère souvent illogique, menteur, incohérent. Il ressemble à un enfant qui découvre un monde nouveau, avec toutes les situations hilarantes que cela engendre. Le lecteur admire quant à lui toutes les facettes du comportement humain, tant positives que négatives.
Ensuite, nous constatons rapidement l’omniprésence de l’IA dans ce monde surconnecté, où tous les gestes sont surveillés. Alfie accède aisément aux multiples caméras de l’habitation familiale, mais également aux téléphones et autres objets connectés : vêtements, lunettes, voitures, etc. La perversion ne possède plus de limites : l’ordinateur accède aux bases de données des écoles, des lieux de travail, des dossiers médicaux… Sa présence dans cette famille permet normalement de baisser les coûts d’une assurance quelconque, mais, afin de conserver les avantages pécuniaires, Alfie communique chaque détail de la vie des membres de la famille et ne permet aucun écart.
A côté de ce développement personnel de l’IA, l’ouvrage installe une intrigue familiale : dans un ménage où les années ternissent l’amour entre les parents, les infidélités apparaissent, les tensions augmentent, les mensonges se perdent. Alfie essaye tant bien que mal de comprendre ces situations. Cependant, son développement passe au travers la lecture des romans d’Agatha Christie… Comment savoir si ces humains ne s’adonnent pas à quelque crime ? Ce cerveau mécanique utilise des outils humains pour tâcher de découvrir la vérité : mensonge, manipulation, surveillance…
La fin des libertés ?
Cet ouvrage de Christopher Bioux est un plaisir de lecture. L’auteur parvient à doser parfaitement l’humour de l’apprentissage de l’IA avec une intrigue criminelle riche en suspense. Nous admirons toute l’aide qu’apportent les technologies mais constatons également toutes les dérives que cette connexion omniprésente apporte : l’humain perd de sa spontanéité et de sa liberté car tout est calculé rationnellement et, dans cette histoire, les écarts, jugés par des algorithmes, apportent des conséquences désagréables pour les familles.
Cependant, je dois admettre que le roman s’arrête abruptement et donne un sentiment de léger bâclage de la chute. L’auteur veut potentiellement laisser toutes les interprétations possibles, mais cela donne une impression d’inachèvement. Les protagonistes dévoilent certains faits aléatoirement, simplement pour donner quelques raisons à l’intrigue. Une très légère déception sur cette fin, mais qui ne ternit pas pour autant la lecture générale, qui demeure des plus agréables.
PS : si vous désirez lire le roman Le Meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie, sachez que l’intrigue est entièrement dévoilée dans Alfie.