Richelle, Philippe (scénario) ; Beuriot, Jean-Michel (dessin)
Bande dessinée
Bruxelles : Casterman, 2023, 76 pages, 17,95 €

🙂 🙂 🙂 🙂 Conclusion

La guerre n’épargne personne. Même si vous n’y prenez pas une part active, que vous soyez civil, soldat démobilisé, simple flic ou concierge, si vous vivez dans son aura, vous serez touché. Votre conduite en sera affectée ou alors, elle sera affectée par celle de ceux que vous côtoyez. Les premières pages de ce dernier tome glaceront le sang : dénoncées par la concierge de leur immeuble, Katarina et son amie qui l’héberge voient débarquer quatre policiers français. Nous sommes à Lyon, à l’été ’44, et les deux femmes viennent régulièrement en aide à la Résistance.
Un an plus tard, nous retrouvons Martin Mahner, le personnage central de la saga. Martin n’a jamais été membre des SA, des SS ou de la Gestapo. Simple lieutenant dans la Wehrmacht, il n’est pas inquiété par les Alliés qui occupent à présent l’Allemagne. Il rentre dans sa ville natale, Aix-la-Chapelle et y retrouve sa maison, relativement épargnée par les bombardements. Mais, bizarrement, celle-ci est vide : où sont passés sa mère et Gustav Flohe, le meilleur ami de son père, qui semblait y avoir emménagé depuis la mort de ce dernier ? Martin se met à leur recherche, mais il doit aussi subvenir à ses besoins, trouver du travail. Il retrouve à nouveau Karl Erlinger, l’ancien étudiant devenu policier et, progressivement, il se fait de nouveaux amis. Aucun de ces personnages n’a été épargné par la guerre, mais certains cachent mieux leurs blessures que d’autres.

Le souffle court

Seuls deux volumes de « Amours fragiles » comptent plus de 56 pages : le tome 1 (86 pages) et ce dernier tome, le 9, qui en compte 76. Le premier tome plantait le décor, installait les personnages et l’ambiance et nous indiquait le chemin qu’entendaient emprunter les deux auteurs. « Crépuscule », ce dernier tome, s’il clôt l’intrigue, prend aussi le temps de mettre en scène de nouveaux personnages, aussi soignés et crédibles que ceux rencontrés jusqu’ici. Les « anciens » n’en sont pour autant pas oubliés, au contraire. Nous les retrouvons tous, les principaux en tous cas, et les auteurs prennent un soin remarquable à leur assurer une destinée qui ne nous laisse aucun goût de trop peu. En retrouver certains va peut-être même vous laisser quelques instants le souffle court. Il fallait donc bien un peu plus de 56 pages pour tout cela.

Large focale

Arrivé à la dernière page, la sensation d’avoir assisté à une véritable saga sur fond de Seconde Guerre mondiale se mue en certitude cette fois inébranlable : des personnages rencontrés dès le premier tome ont progressivement évolué, que ce soit dans leur comportement ou dans la perception que les autres en avaient, des thèmes positifs résonnent d’un album à l’autre (l’amitié, la fidélité) et d’autres, plus négatifs, sont creusés (la corruption, l’appât du gain, la délation). On ne savait à quel type de fin les auteurs nous convieraient : peut-être ce dernier tome serait-il aussi sombre que l’ambiance générale de l’époque ? Alors qu’en Allemagne, la population vit dans la misère des privations, en France, les résistants de la dernière heure s’en donnent à cœur joie… Et pourtant, bien qu’ils restituent cette ambiance avec précision, les auteurs nous livrent une œuvre lumineuse : le dessin, superbe, de Jean-Michel Beuriot insuffle l’âge et la maturité aux acteurs, il laisse une place prépondérante aux silences et aux regards des personnages et se voit magnifiquement mis en valeur par les couleurs de Dominique Osuch. Les planches se parcourent et re-parcourent avec bonheur. Le scénario lui-même illustre tout en nuances ce que nous disions au début de cette chronique : la guerre n’épargne personne, elle influe sur le comportement de tous. Ce n’est qu’une question de focale : est-ce qu’on met en évidence la noirceur ou est-ce qu’on montre aussi le beau et le bon qui la côtoient ? Avec « Amours fragiles », Beuriot et Richelle ont fait leur choix : ils nous ont offert la rigueur historique au travers d’une large focale, apportant leur pierre à l’ouverture d’esprit, à la curiosité et à l’humanisme, balayant les préjugés et les idées reçues. Qu’est-ce qu’on fait ? On leur dit bravo et merci.
Nicolas Fanuel

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