Le passager sans visage

Beuglet, Nicolas ; lu par Valérie Muzzi
Livre audio
Paris : Lizzie, 2022, 1 CD audio, 22.90 €

🙁 Vraisemblance non grata

Plongée en enfer

Grace Campbell, l’héroïne du précédent et glacial roman de Nicolas Beuglet, est au coeur de cette nouvelle histoire qui mêle les contes enfantins aux pires perversités de l’âme humaine.
Un mystérieux message anonyme laissé sur le pas de la porte de son appartement (« Tu n’es pas seule à chercher la vérité ») convainc l’enquêtrice écossaise de tenter de lever le voile sur l’effroyable traumatisme qu’elle a vécu dans sa prime jeunesse : son enlèvement et sa séquestration par un homme aux désirs inavouables.
Dans la pièce secrète qu’elle a aménagé chez elle, Grace retrouve une photo de presse sur laquelle figure une silhouette d’enfant qui n’a jamais été identifié. Elle décide de retourner au village de son enfance, Kircowan. Où différents indices vont la conduire jusqu’à Hamelin, un village allemand à l’origine du conte bien connu (« le joueur de flûte ») dont elle va découvrir, avec l’aide d’un conservateur de musée, l’origine factuelle : en fait, le fameux joueur de flûte aurait été un tueur en série qui aurait emmené avec lui une centaine d’enfants dans une grotte pour mieux les exploiter sexuellement avant de les éliminer.
Elle va aussi rechercher le policier qui avait enquêté sur son enlèvement et qui, s’il est devenu un vieillard apathique résident d’une sombre maison de repos, semble bien receler quelques secrets laissant à penser que les parents de Grace n’étaient peut-être pas totalement au-dessus de tout soupçon…
De fil en aiguille, Grace va remonter la piste d’une mystérieuse société secrète aux visées eugéniques dans laquelle les enfants sont des victimes toutes désignées. A la tête de cette entreprise manipulatrice, un énigmatique Chef, appelé « Passager sans visage », passé maître dans l’art de susciter la peur parmi les populations mondiales pour mieux les contrôler.
Port Nawaq
Nicolas Beuglet est devenu, en cinq romans, une des nouvelles valeurs sûres du thriller français. Il avait frappé un grand coup avec « Le Cri », recueillant unanimement les louanges du critique comme du lecteur.
Avec ce nouvel opus, il commet cependant l’erreur de pousser trop loin les portes de l’invraisemblance, de l’incohérence et du grotesque.
Si on est embarqué par l’intrigue, si la cruauté exprimé caresse nos bas instincts, si on doit reconnaître un certain talent pour maintenir le suspense et la tension, on remarque vite certains éléments narratifs qui parasitent le plaisir de la lecture. Des exemples ? Pourquoi la mère de Grace a-t-elle conservé son nom de femme (ex-)mariée alors que visiblement son époux lui faisait vivre un véritable enfer ? Pourquoi l’historien rencontré à Hamelin réserve-t-il à Grace la primeur de sa théorie sur l’origine réelle du joueur de flûte plutôt que de publier le fruit de ses recherches ? Et que penser de cet homme – faut-il être traumatisé au plus haut point – qui vit reclus dans une petite bicoque au coeur d’une forêt en rejouant ad nauseam le rôle du loup ayant pris la place de la Mère-Grand dans le conte du Petit Chaperon rouge ? Bicoque, qui, soit dit en passant, est identifiable par gps ! Le sommet est atteint lorsque l’héroïne découvre que le Passager sans visage circule continuellement à bord d’un train qui emprunte des rails improbables présentes dans les montagnes. Dans ce train, il a invité toute une série de donateurs potentiels pour la réalisation de ses desseins philanthropiques alors que quelques wagons plus loin, une assemblée autrement sombre prend connaissance deses intentions réelles (notons que des journalistes font partie de ce gratin et qu’ils sont donc sensés révéler au monde, par leurs articles, la portée démoniaque de la philosophie perverse de ce fou furieux 2.0.). Au rayon des détails qui tuent, j’ajoute la chance improbable que l’héroïne rencontre partout où elle passe des individus parlant anglais, l’administration d’un somnifère puissant dont les effets cessent miraculeusement en quelques minutes, l’apparition subite d’un hélicoptère survolant le train en mouvement, et les circonstances quasi-magiques qui front frôler la mort à l’enquêtrice sans jamais l’emporter.
Tout ce festival de facilités, d’incongruités et d’invraisemblances devient indigeste à la longue et fait que l’empathie que l’on avait ressenti pour certains personnages s’étiole. Plusieurs fois, j’ai soufflé d’exaspération, me demandant finalement si l’enquêtrice n’était pas la nouvelle version d’un agent secret 007 !

Ter repetita ?

L’écoute de ce roman, puisque j’ai pu disposer de la version enregistrée, ne doit pas être mise en cause. Rien à redire de ce côté, comme souvent avec les productions Lizzie. Mais je suis curieux de savoir si la narratrice s’est elle aussi rendu compte des énormités des péripéties, au fil de son exercice. En tout cas, elle y a mis tout son coeur et tout son professionnalisme.
Deuxième volet d’un triptyque, « Le Passager sans visage » se clôt sur l’émergence d’un nouveau mystère destiné à lancer le récit du troisième volume. Espérons que l’auteur aura à coeur de faire évoluer ses personnages avec les pieds un peu plus sur terre, sous peine de totalement se décrédibiliser.
Eric Albert

1 Commentaire. Leave new

  • Bonjour , il est dommage de spoiler le « secret » de Grâce. Je n’ai pas encore lu ce livre et cela gâche un peu l’effet. Belle journée.

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