Pagan, Hugues
Policier & Thriller
Paris : Rivages, 2025, 452 pages, 22 €

🙂 🙂 🙂 🙂 Démêler les noeuds

Quelques temps après l’affaire du « Carré des indigents », l’inspecteur principal Claude Schneider est appelé sur les lieux d’un incendie criminel. Une vieille usine désaffectée, pas loin du centre-ville, réduite en cendres. Au sous-sol, les cadavres de trois clochards surpris par les flammes dans leur abri de fortune. Alors que sa hiérarchie le pousse à clore rapidement l’affaire, Schneider va plutôt s’obstiner à en démêler les nœuds. Ce qu’il constate, c’est que la Ville, sa ville, où il est venu se réinstaller après ses années dans l’armée durant la Guerre d’Algérie, sa ville, est en train de se transformer et que le moindre mètre carré de terrain y est lorgné par des plus puissants que ceux qui le possèdent. Des petits propriétaires sont mis sous pression par de grosses boîtes du BTP, alors que chez les habitants des hauteurs, les notables et la mairie, ça magouille ferme pour moderniser ces quartiers populaires. Rendre de la ville attrayante pour les milieux d’affaire, et tant pis pour la piétaille : « Inexorable, le progrès s’avançait, repoussant chaque jour plus loin le silence, toute forme possible de recueillement et de ferveur ».

L’arrogance des dominants

On est au milieu des années ’70, enfin, sans doute, puisque jamais Hugues Pagan, l’auteur, ex-flic et véritable styliste du polar français, ne cite de date ni le nom de la Ville. Mais on le sait, on le sent, le nom des modèles de bagnoles, le confort relatif des habitations, le Franc, le vocabulaire utilisé, les mentalités -déjà l’affairisme oui, mais aussi une certaine dignité des moins nantis, rempart trop friable face à la déjà bien présente arrogance des dominants– tout cela nous indique qu’on est juste avant le basculement dans la cupidité qui s’affichera sans complexe dès les eighties entamées. Même si un de ses indics lui assène que « les gros poissons, c’est pas pour vous », Schneider et son groupe vont patiemment remonter la piste de l’exécutant de l’incendie jusqu’à son commanditaire pour arriver justement à l’orée des beaux quartiers de la ville. Là, Schneider, le cartésien et le méthodique, celui qui « pratiquait obstinément la religion de la preuve »et bétonne sa procédure dans le strict respect de la loi, en viendra à douter de l’humanité même de son insaisissable et maléfique adversaire.

Le sens de la justice et…de la formule

Pas encore remis (le sera-t-il jamais?) des événements douloureux vécus dans le précédent opus cité plus haut, Schneider, « loup maigre et irascible, errant et solitaire, ne craignant plus rien, même pas de mourir », reste animé d’un sens profond de la justice, sans pour autant monter sur ses grands chevaux et se munir d’un étendard coloré pour la mettre en œuvre. Il sait qu’il vaut mieux la jouer fine, taiseuse, à coup d’interrogatoires, de rencontres, de visites des lieux, d’heures passées dans les petits rades de la Ville ou les échanges avec ses collègues, ses indics et tout ce que la Ville compte de personnages importants ou insignifiants est facilité par quelques verres bus à même le comptoir. Il ne néglige rien et ne lâche rien. Il sait évaluer ses interlocuteurs et résumer leur personnalité en une formule cinglante (et référencée en plus) : « L’ainé des Ferchaux avait les capacités intellectuelles d’une tuile glissant du toit. Il en avait aussi la dangerosité ». Obstiné et peu enclin à obéir à sa hiérarchie, il se voit parfois menacé d’une promotion dans un cul-de-sac bureaucratique, mais poursuit obstinément sa traque, ce qui fait de lui un des personnages les plus attachants et crédibles du polar actuel. Chacune de ses enquêtes nous entraîne dans les bas-fonds d’une France révolue qui porte en elle tous les germes de l’actuelle. On est là face à la crème du roman noir, animée par une élégante désespérance, de celle que l’on traite avec une pointe d’humour caustique et un verre de Gin sec, la cerise du gâteau paganesque.
Nicolas Fanuel

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