Bendis, Brian Michael (dessin et scénario) ; Andreyko, Marc (scénario)
Bande dessinée
Paris : Delcourt, 2025, 288 pages, 27,95 €

🙂 🙂 🙂 Sans les mains! (Ni la tête)

Horreur, malheur !

Afin de remettre de l’ordre dans la police corrompue de Cleveland, le maire fait appel à Eliot Ness qui vient de s’illustrer dans l’enquête ayant permis d’arrêter Al Capone.
Nous sommes dans les années ’30 (1935-1939), et l’économie vacillante depuis 1929 a jeté des milliers de demandeurs d’emploi vers les grandes villes. À Cleveland (Ohio), cette communauté désespérée squatte les bas quartiers de façon totalement illégale. Ce qui pose problème, politiquement autant que socialement.
Dans cette atmosphère délétère et explosive, Ness va imposer sa marque en utilisant des méthodes expéditives qui ne sont pas vues d’un très bon œil par certains notables.
Mais un autre problème va surgir : des cadavres sans tête, mains, ni pieds, torturés de manière chirurgicale sont découverts en plusieurs lieux de la ville (une plage, un réservoir d’eau potable,…). L’enquête piétine, car les victimes sont inidentifiables et le tueur, dont le surnom Torso (le torse) l’affuble d’une aura de menace et d’horreur, engage un jeu du chat et de la souris avec le célèbre incorruptible.
Désormais sous plusieurs épées de Damoclès (les politiques qui dénoncent ses procédures de travail, les agents de police corrompus licenciés sur-le-champ, l’arrogance provocante du tueur en série et même sa femme lassée par des promesses non-tenues), Ness emprunte les voies de l’enfer, y entraînant deux acolytes surnommés « les invisibles », Myrlo et Simon.

Cold case

Le récit, glauque à souhait, s’inspire d’un fait criminel réel qui n’a d’ailleurs jamais été résolu. Les auteurs, Bendis et Andreyko, ont su créer une œuvre picturale et scénaristique léchée. Ce roman graphique se révèle extrêmement original dans sa construction et son traitement : les planches accueillent volontiers la couleur noire pour souligner des lieux ou des personnages évanescents mais aussi pour permettre au lecteur de « laisser toute espérance » en-dehors de la lecture. Les phylactères, minimalistes, apparaissent comme des chapelets – ce qui met en évidence la portée de leurs propos – tandis que la façon tortueuse dont les cases (souvent éclatées) sont disposées, nécessitent parfois de renverser ou carrément de retourner le livre.

Exercice de style

Effet de tourbillon, absence d’axe et de linéarité, répétitions de cases, utilisation de photos sepia intégrées dans les planches,…autant de procédés intelligents et d’une efficacité addictive !
N’ayons pas peur des mots, « Torso » est un chef d’oeuvre qu’il aurait été dommage de ne pas rééditer (une première publication a été proposée par Semic en 2002). Le thème du serial killer reste très populaire – et celui-ci est salement gratiné dans la folie de ses motivations humanistes bancales – et la présence de la figure emblématique d’Eliot Ness (bien loin de la version du film de De Palma) ajoute une touche d’authenticité ou de familiarité.
Une fois commencé, le noir (tant narratif que visuel) vous happe et ne vous lâche pas ! C’est une expérience de lecture originale qui demande une certaine concentration mais qui ne manquera pas de provoquer chez vous des montées d’émotions contradictoires. Le glauque en devient palpable et vraiment malaisant. Bref, rien que du bon pour les amateurs !
Éric Albert

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