Banville, John ; traduit de l’anglais (Irlande) par Michèle Albaret-Maatsch
Policier & Thriller
Paris : Robert Laffont, 2024, 352 pages, 10 € (Pavillons poche)

🙂 🙂 🙂 Une affaire sensible

« Écoute Strafford, c’est pas bon ce truc. Un curé refroidi dans une baraque de parpaillots. Qu’est-ce que les journaux vont raconter ?». Voilà comment, en quelques phrases lapidaires, Harry Hall, le responsable de l’équipe scientifique de la police dublinoise, définit l’affaire qui vient de leur tomber dessus (« parpaillot », nous aussi, nous avons dû aller voir la définition, il s’agit d’un terme plutôt péjoratif pour désigner une personne de religion protestante).
Hall ne pourra que constater de loin à quel point il avait bien envisagé la situation puisque ses constatations effectuées, il laissera le Detective Inspector Strafford, celui à qui il s’adressait, se coltiner cette enquête qu’à notre époque on qualifierait de « sensible ». Nous sommes en 1957, en pleine campagne irlandaise. L’inspecteur Strafford, 35 ans, un type qui, de l’avis général, « ne ressemblait pas tellement à un policier » et que nombre de ses collègues qualifient de « lord snobinard » va devoir naviguer à vue entre les pressions de l’église catholique, qui tente d’étouffer l’affaire, et les apparences trompeuses affichées par les différents membres de la famille Osborne, des protestants résidant à Ballyglas House, leur « château » dans lequel a été découvert le cadavre du père Lawless, assassiné et émasculé. Lawless logeait visiblement régulièrement au château, et pourtant, Strafford le constatera très vite, « personne ne le pleurait ».

Délicieuse surprise

La fin des années ’50, l’Irlande, un prêtre assassiné et émasculé : ceux qui suivent un peu l’actualité auront deviné où l’enquête de Strafford le mènera. Si le royaume de l’innommable est au bout du chemin, il faut pourtant soigneusement éviter d’y limiter l’ensemble de ce roman policier passionnant, délicieuse surprise de ce début d’année. Ce n’est pas la première fois que John Banville (auteur du Booker-Prize « La Mer » en 2005) s’intéresse au roman policier : dès 2006, sous le pseudonyme de Benjamin Black, il entame une série autour du docteur Quirke, un médecin légiste-enquêteur (qui est d’ailleurs cité dans « Neige sur Ballyglass House »). Huit titres (dont seulement cinq ont été traduits en français) composent à ce jour la série, mais « Benjamin Black » s’est également fendu de 4 autres polars (dont un dans lequel il met en scène Philip Marlowe). Avec « Neige sur Ballyglass House », Banville semble assumer complètement cette veine policière puisqu’il signe ce titre de son vrai nom.

A good story

Pourquoi délicieuse surprise ? D’abord pour le style, pour l’écriture riche, dense et virevoltante tout à la fois, pour la profondeur et la variété des personnages et, finalement, pour ce non-moins délicieux humour british, fin et ironique. Parmi les personnages, celui de Strafford arrive haut la main à garder toute notre attention : sorte d’anti-héros devenu policier par dépit, il ne se sent « pas à sa place, et à contretemps […], la parfaite incarnation du mec à la dérive », alors que chacun des autres personnages auxquels il est confronté, ou sur lequel il doit enquêter, lui apparaît comme un acteur, un archétype extrait d’une pièce de théâtre dans laquelle tout serait écrit à l’avance, jouant de plus très mal son rôle, comme contraint et forcé. Strafford ne se fie à personne et surtout à aucun des Osborne, et son enquête, longue et semée de fausses pistes, nous semblera quasiment jusqu’à la fin vouée à l’échec. Ensuite, pour toutes ces petites phrases (« une bonne éducation est souvent un handicap » par exemple) caractérisant l’époque, les lieux et la société en général, que l’on ne peut s’empêcher de noter dans un coin de sa tête. Banville est indubitablement un romancier qui, au-delà d’une intrigue bien menée dont on tient à connaître le fin mot, sait tenir son lecteur en haleine par la magie de son écriture et par l’attachement qu’il développe pour la psychologie de ses personnages. Un régal de littérature et « a good story ».
Nicolas Fanuel

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