Lasdun, James; traduit de l’anglais par Claude Demanuelli
Policier & Thriller
10/18 (Paris), 2018, 288 pages, 7.5 €
🙂 🙂 🙂 Un ami qui vous veut du bien - critique complète
Matthew est un jeune newyorkais en pleine remise en question professionnelle. Il a pour projet de lancer son foodtruck mais n’en a pas les moyens. Sa famille a subi une disgrâce suite à la disparition de son père banquier avec l’argent de ses clients. Il profite de l’invitation de son cousin Charlie et de son épouse Chloe à passer avec eux l’été dans leur maison de vacances d’Aurelia. Il en profitera pour sous-louer son appartement. Matthew se réjouit d’autant plus qu’il a toujours eu un lien particulier avec la superbe Chloe, une intimité inexpliquée mais précieuse.
Matthew s’installe donc dans le bungalow surplombant la piscine. Charlie n’est pas en vacances. Il travaille dans une banque new-yorkaise et fait de fréquents allers-retours avec le bureau, entre négociations et dîners d’affaires. Après des déconvenues financières et boursières, il a su, comme toujours, tirer son épingle du jeu et gagne à présent très bien sa vie. Le bracelet de chez Tiffany offert à Chloe en témoigne. La jeune femme lézarde en bord de piscine, s’absente de manière impromptue pour ses cours de yoga ou pratiquer la photographie. Matthew, quant à lui, sillonne les routes à la recherche des meilleurs produits de bouche, afin de préparer le repas du soir, une façon de payer le loyer. C’est lors d’une de ces expéditions qu’il découvre que les absences de Chloe cachent en réalité autre chose…
Matthew se sent trahi. Il pensait profiter de son séjour pour trouver des réponses à ses problèmes et profiter de la douce conversation de Chloe…Voilà qu’il se retrouve face un lourd dilemme : en parler à Charlie, dont la précédente relation avait cessé suite à ses problèmes de jalousie, ou au contraire ne pas s’en mêler.
« La géométrie de sa relation avec le couple pouvait changer, selon que l’un de ses membres se rapprochait ou s’éloignait, mais elle restait exclusivement triangulaire. Il était jusque-là inconcevable qu’un quatrième personnage vienne briser cette forme de symétrie, et l’intrusion d’une telle figure s’avérait extrêmement difficile à accepter. »
Matthew est conscient que faire voler le couple en éclat va gâcher leur bel été. Et puis opérer un tel acte destructeur nécessite de solides preuves, n’est-ce pas ? Se substituant à un mari jaloux, il espionne Chloe, récolte infos et confirmations, titille l’infidèle sur ses activités…
James Lesdun livre avec « La chambre d’ami » un thriller efficace, et qui dévoile au fur et à mesure tout son potentiel diabolique. Certes, le triangle amoureux sur fond de farniente est connu : citons « Plein soleil » de Patricia Highsmith, le film «La piscine»… Plus récemment, l’écrivain néerlandais Herman Koch a commis un excellent « Villa avec piscine». Ce type de décor, allié à la chaleur étouffante, permet un huis clos tendu, à l’issue dramatique.
D’emblée, le lecteur perçoit tout le potentiel offert par le trio de personnages. Matthew, auquel on colle aux basques, est un personnage riche en mystères et en contradictions. Son attirance envers Chloe, dont il sait qu’elle est pathétique et sans espoir, ne l’empêche pas de guetter la moindre miette de compliment. Il présente un passé assez agité, qui explique son éternelle inertie économique. Charlie est un personnage en apparence bon enfant, au tempérament en réalité boudeur et rancunier. Au moindre conflit ou contrariété, il fuit la confrontation et se réfugie dans la méditation, ce qui est plutôt frustrant pour tout le monde, lecteur compris.
La frustration pourrait bien s’exacerber avec le dénouement final, expéditif. Nous avons parlé de « potentiel ». Force est de constater que de nombreux éléments prometteurs ne sont au final pas exploités. Les personnages secondaires sont sans relief, ne servant qu’à provoquer sentiments et observations entre notre trio principal. Certains pourraient penser « tout ca pour ca » ? Après réflexion, nous préférons ne rien entamer du réel plaisir vécu tout au long de la lecture, et conserver la cotation choisie d’emblée. James Lesdun a fait le job, nous tenir en haleine, et de façon magistrale grâce aux éléments biographiques et ressorts dramatiques choisis. Son final est cohérent avec ses personnages, n’en déplaise aux amateurs de sensations fortes et d’affrontements virils. « La chambre d’ami » est bel et bien un thriller psychologique subtil et intense, une réussite.