Férey, Caryl
Policier & Thriller
Paris : Gallimard, 2025, 300 pages, 20 € (Série noire)

🙂 🙂 🙂 Pêche mortelle

C’est à sa demande que Soren Barentsen, un flic de Copenhague, avait été muté sur les îles Feroë. Il ne se passait pas grand-chose là-bas – le dernier crime remontait à plus de huit ans- et cela convenait très bien à Soren. Pas grand-chose, jusqu’à ce qu’un Grindadrap, cette « tradition locale » visant à rabattre, à l’aide de bateaux, des bancs de gros poissons vers une nasse naturelle d’eau peu profonde où ils sont tués à l’arme blanche, soit organisé et que, quelques heures plus tard, le corps sans vie de Bent Hansen, le chef de l’événement et ancien ministre de la Pêche, soit retrouvé parmi les nombreux cadavres d’orques, de dauphins et autres globicéphales victimes du carnage. Car cette fois, il semble bien que le Grind’ ait viré au cauchemar, sous l’impulsion de quelques pêcheurs chauffés à blanc, le nombre d’animaux massacrés dépasse les normes habituelles, au point que la population locale ne pourra absorber l’entièreté du fruit de ce qu’elle considère encore comme une coutume.
Quelques heures auparavant, une tempête d’une force inhabituelle avait ravagé les côtes de l’île principale, provoquant l’échouage d’un navire de Sea Shepherd, cette ONG qui lutte pour la préservation de la faune marine. Seuls deux membres de l’équipage du navire ont survécu et, coincés sur l’île, ils se retrouvent aux premières loges du Grind’. Dire que leur présence sur place n’arrange pas les pêcheurs est un euphémisme, et Soren aura bien du mal à les protéger de la haine des marins tout en essayant de résoudre le mystère de la mort de Bent.

Stupidité et rapacité

Grand voyageur, Caryl Ferey nous avait déjà, dans le cadre de ses précédents romans policiers, transportés en de nombreux continents. Si l’avant-dernier était situé en Afrique (« Okavango », 2023), les précédents avaient plutôt pour cadre l’Amérique du Sud (la Colombie avec « Paz » (2019), le Chili avec « Condor » (2016) ou l’Argentine avec « Mapuche » (2012)). Avec ce nouvel opus, il migre nettement plus au nord, sans perdre ce qui constitue sa marque de fabrique, cette capacité qui lui semble toute naturelle, à nous immerger complètement dans des régions étrangères en convoquant aussi bien des paysages que des particularités météorologiques ou en mettant en scène des personnages se débattant avec leurs réalités personnelles, souvent induites par leur cadre de vie. Dès son entame, on comprend que « Grindadrap » va fortement refléter les convictions écologistes de l’auteur. Le réalisme de certaines scènes les rend difficilement soutenables. On pense ici à une première scène d’intervention du navire des Sea Shepperd face à un chalutier pirate, mais surtout aux scènes relatives au Grind’ : Carey ayant pris soin au préalable d’aborder la psychologie, l’intelligence et les capacités émotionnelles des animaux, lorsque ceux-ci se retrouvent dans la nasse et qu’il décrit la tuerie et les scènes de désolation qui suivent, tout être humain doté d’un minimum d’empathie sera assailli de sentiments allant de la révolte à la tristesse en passant sans doute par un accès de dégoût. Ces scènes alternent avec les évocations des dégâts causés par la tempête : cadavres de moutons qui jonchent les routes, véhicules terrestres et marins encastrés sur la côte et dans les zones portuaires, bâtiments ravagés et isolement complet de l’île. Ambiance de fin du monde que Ferey utilise comme métaphore de la catastrophe écologique mondiale en cours et qu’il évoque à plusieurs reprises. L’ensemble du livre dresse un cadre désastreux dans lequel la plupart des humains n’en oublient pour autant pas de faire preuve de stupidité et de rapacité. Les échanges verbaux entre les pêcheurs tenants d’une tradition séculaire mais complètement anachronique, et les journalistes ou les militants écolos, les violences physiques qui s’en suivent, les bâtons mis dans les roues de la police, tout témoigne de la bêtise et de la dangerosité humaine, surtout lorsque ses représentant se regroupent et que des intérêts financiers importants sont en jeu. Car Ferey ne l’oublie pas, les ressorts et les causes des ravages écologiques relèvent de l’appât du gain. Sa démonstration, au travers de ce nouveau polar tendu, mouvementé et durablement marquant se révèle sans appel.
Nicolas Fanuel

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